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Quand écire c'est dire vrai

L’Hiver du doyen De l’écrivain Saul Bellow, par Mustapha GUILIZ, écrivain L’Hiver du doyen de Saul Bellow (prix Nobel de littérature 1976) raconte un épisode de la vie d’un citoyen américain, doyen de l’université de Chicago, qui fait un voyage en Roumanie. Je me permets de revenir à cette lecture qui ne date pas d’hier à la lumière des événements politico-stratégiques qui se déroulent en ce moment. Je parle de l’invasion russe de l’Ukraine. C’est un roman de l’Ouest qui relate une histoire survenue à l’Est. Ce qui précède cette invasion, c’est une longue histoire de confrontations réelles sur le terrain et il en a résulté meurtres, tueries et massacres et, une autre guerre idéologique connue sous le nom de « guerre froide », qui utilisait à tour de bras toutes les formes d’altération de la vérité et toutes les gammes de la fausseté qui vont du mensonge jusqu’au délire. Des deux côtés, Est-Ouest, ces confrontations avaient fait des citoyens prêts à manger leurs balais si on leur avait parlé de la nécessité de le faire pour l’emporter sur l’ennemi. On diabolise l’autre ; et cette mystification donne la mesure de notre insoutenable imbécillité. Le lecteur-citoyen de cette litérature est porté immanquablement à se situer du côté du bon système contre le mauvais, l’autre, même froid, il devient un enfer. Le récit de Bellow relate l’histoire d’un homme qui accompagne sa femme dans son pays natal, la Roumanie. Ce pays de l’Est vit sous l’emprise d’un régime dictatorial. La belle-mère du doyen est hospitalisée ; elle agonise durant tout le séjour, tout l’espace du texte. Ex-militante haut placée dans la hiérarchie partisane, elle avait même occupé le poste de ministre de la santé, mais disgraciée parce qu’elle ne croyait plus aux idéaux du régime en place. Elle réussit pourtant à envoyer sa fille Minna dans un pays de l’Ouest, les U.S.A ; elle sera une éminente astrophysicienne et se marie avec le doyen, notre narrateur. En Roumanie, le couple qui doit rendre des visites à la maman hospitalisée doit militer pour arracher de telles faveurs auprès d’un colonel dont l’arbitraire échappe même à l’autorité de son ministre de tutelle. Il y a toujours anguille sous roche et l’on se doit de lanterner par prudence sous ce régime exceptionnel où tout le monde se méfie, et regarde avec intensité tout le monde. Le narrateur, qui prend constamment le pouls des situations, montre comment évoluent les personnages dans une ambiance qu’il refuse de qualifier par des mots de l’Ouest. Tout nous est rendu par une écriture méticuleuse, profondément factuelle et qui se signale par l’horreur des raccourcis. Partout, il règne une ambiance asphyxiante qui ne laisse pas de place à une confiance dans le genre humain. L’homme de ce régime, même un gardien, est soudoyé au moyen de paquets de cigarettes pour faciliter les visites familiales. Le récit contrapontique de ce voyage s’alimente de la correspondance que le doyen entretient avec Chicago, état de l’Ouest bien entendu. Le doyen est rattrapé par ses propres affaires. Là aussi, le récit reste fidèle au réel—pour ne pas dire objectif— que le narrateur mène avec une lucidité prudente. Il y a là l’unique condition pour rendre une image authentique de la manière dont fonctionne de part et d’autre la machine infernale qu’elle soit communisme ou libérale. Le doyen jouit d’une grande capacité de pénétration et d’analyse, « Je suis né pour observer », répète-t-il assez souvent. A Chicago, il nourrit des attachements problématiques. Il adore sa sœur, une veuve dont il parle en termes sensuels, en évoquant l’estuaire de son bras charnu, son haleine fraiche et fruitée. Il supporte mal son neveu, le fils de cette sœur, à qui il s’oppose dans un procès picaresque. Le doyen est impliqué dans le procès de meurtre d’un étudiant noir. Il a même mobilisé les moyens propres à l’université pour offrir des sommes d’argent à des témoins potentiels pour les soudoyer. Il y réussit. Mais il a encore à dos un autre cousin, avocat, à qui il s’oppose dans une autre affaire d’escroquerie en sa défaveur. Le doyen de la faculté de journalisme avait écrit des articles publiés dans Harper’s traitant des problèmes raciaux de la cité. Il décrit les conditions de sous-hommes auxquelles sont soumis les Noirs. Il y a donc là aussi une machine infernale qui broie ses propres victimes. Les deux systèmes, le communiste et le libéral, sont renvoyés dos à dos quant au registre du mal qu’ils ont l’art d’infliger à leurs propres citoyens. Le doyen gagne le procès et Valéria, sa belle-mère, meurt. Mais sur fond de rivalité, le doyen est piégé par un ami, un journaliste à qui il s’était livré dans une interview qui ne dit pas son nom en parlant sincèrement de tous les problèmes de sa vie, de sa condition de doyen et de professeur dans la ville de Chicago, de ses contributions journalistiques passées et à venir. Tout est avoué dans un article que son ami écrivit avec le fiel de l’envie et l’aigreur de la maladie qui le rongeait. Pour avoir tenu de tels propos, vrais mais désobligeants, le doyen fut contraint à la démission que le doucereux recteur accepta sans trouver à redire. Si aucune comparaison n’est faite, et le narrateur ne s’y risque pas, il y a une différence de texture massive. Et c’est là l’originalité d’un texte qui prend ses distances par rapport à toutes les mythologies qui avaient bercé notre enfance mentale, car il faut être enfant pour gober tout ce que disent les uns sur les autres, Est-Ouest. Plus, il les renvoie dos à dos dans une fiction qui montre plus qu’elle ne dit les vrais visages des régimes qui sont en réalité des systèmes qui se nourrissent du complot, de l’injustice qu’ils font subir à leurs citoyens et aux erreurs énormes qui empoisonnent l’air que les citoyens respirent. Quelle place pour la liberté humaine dans ce monde ? Le texte ne se prête pas à ce jeu infécond pour ne pas perdre de sa crédibilité. L’objectivité a un prix. Personne n’a les moyens propres pour s’échapper à cette geôle du monde qu’est le mensonge et la démagogie. Si la liberté manque, c’est qu’elle est le point focal d’un exercice diabolique qui fournit des certitudes inébranlables sur le mal que représente l’autre dans sa différence essentielle, réelle ou fantasmée. Sur le sujet de la liberté, nous sommes condamnés à l’hiver. L’hiver du doyen est le nôtre. Nous n’aurons jamais l’âge mature pour jouir du soleil de la vérité.

L'éducation par les valeurs

L’éducation par les valeurs Par Mustapha GUILIZ, enseignant, écrivain Nos valeurs font notre différence par rapport aux autres cultures qui nous entourent. C’est cela qui détermine notre ancrage dans l’espace et dans le temps. Avec la mondialisation, nous étions appelés à revoir les constantes morales qui faisaient notre fierté pour adopter, même timidement, d’autres valeurs qu’on considérait naguère comme des menaces à notre mode de vie. Des raccourcis que nous commettons inconsciemment, il y a l’idée qui nous faisait croire que le sens de la modernisation signifiait occidentalisation. C’est un glissement de sens qui occasionne bien des malentendus. Sur le plan du droit de l’homme, refuser d’en admettre les principes sous prétexte de notre particularisme est une incurie des plus regrettables. Ce retard observé dans le rythme de la modernisation affecte le domaine des réalisations. Les chantres de cette option se font des ventricules d’une classe sociale héritière des richesses du pays et qui lutte mordicus afin de garder l’exclusivité des privilèges. C’est la raison pour laquelle toute voix libre qui s’élève est durement punie par une machine aux pouvoirs labiles. Pire encore, on concède à la masse populaire les changements de comportements qui ne sont que des simulacres de son émancipation, non des progrès qui découlent de l’idée d’une perfectibilité de l’homme telle qu’elle est conçue par Rousseau et Condorcet. La foi dans le progrès et la modernisation par le progrès est étrangement sélective. Elle est le résultat d’un vain changement qui se réduit au paraître : les habits, la nourriture et d’autres modes de consommations. D’où le commerce étrangement limitatif des new fashion pour lesquels une bourgeoisie typiquement consumériste constitue une piètre caricature. On omet de penser que ce genre de folklore ne fait que souligner une uniformisation qui se satisfait des apparences. Mais les signes de notre manque à gagner sur le plan culturel sont si visibles qu’ils ne trompent pas. Ce phénomène que nous vivons depuis peu de générations est dû à une gestion politique qui, en même temps qu’ils gouvernent, les responsables aux manettes du pouvoir poursuivent des plans de développement d’une efficacité faillible et douteuse. La part d’effort pour la promotion de l’homme et la dignité du citoyen ne sert pas de base à l’expression collective des idéaux à réaliser. Cette promotion des valeurs positives à l’image du goût de l’effort, de l’honnêteté intellectuelle, du civisme sont rendus à la portion congrue. Le passé nous instruit ; l’avenir se construit. Les politiques culturelles ainsi conçues attestent d’une méconnaissance totale des bases de la culture ancienne et même moderne. C’est la raison pour laquelle une médiocrité tenace domine les pratiques culturelles. Médiocrité des programmes scolaires, médiocrité des formateurs, médiocrité de l’administration, médiocrité des politiciens, médiocrité des politiques. On nage dans une mer d’images fallacieuses, de mirages déroutants. La réalité se dérobe à nos yeux, ne laissant que simulacres, erreurs et subterfuges. On croit être ce que l’on n’est pas ou ce que l’on n’est plus. La pédagogie par l’immoralisme est un jeu dangereux. Le citoyen dont le niveau d’attachement à son socle culturel va se dissipant à cause des comportements scandaleusement individualistes d’une classe qui reste toujours presque impunie, ce citoyen risque de ne plus compter dans un avenir hypothéqué. Mais curieusement, les dépassements avérés sont révélés par une presse de plus en plus nerveuse à l’endroit de ces abus de pouvoir. Cette presse ne cesse de payer un lourd tribu dans des parodies de procès d’un âge révolu. Les dénonciations portent toutes les marques de détournement et de recel d’un héritage qui a plus de valeurs que le bien matériel : ce sont les valeurs. On oppose à cette morale de la dérive une impunité qui désespère le citoyen dans ses convictions les plus profondes. La pédagogie qui rate parfois sa cible, en fait parfois un homme qui ne trouve pas sa place dans la société : il devient un monstre. Les valeurs, les principes culturels n’ont de dignité que lorsqu’ils sont vécus comme les dogmes d’une croyance. Avec la différence qu’ils sont plus que cela. On n’est jamais dispensé de faire le bien en faisant abstraction des attaches qui nous définissent. Peut-être parce que les valeurs, qui ne dépendent pas du religieux, sont l’illustration de notre appartenance à la religion civique. Les vertus sont d’abord et avant tout humaines. C’est que le retard au niveau culturel se manifeste d’abord dans le respect de l’autre, de sa différence. Dans un ordre social qui ne souffre pas la liberté, l’individu se limite à une méconnaissance totale de cet autre. Sa connaissance manque de base. Même ceux qui ont les manettes du pouvoir font montre d’un goût médiocre à tous les niveaux, en particulier de la connaissance de soi a travers l’autre. Paradoxalement, le rayonnement du passé domine un présent sacrifié sur l’autel d’un sensationnalisme de mauvais aloi. Le savoir passé, et ce qui en découle comme valeurs, portait un souci pour la culture d’une grande valeur. C’était là que prospéraient la philologie, la grammaire, l’astronomie, la philosophie et les sciences de la nature. Ceci montre combien est mince le socle les éléments fondamentaux de la culture moderne. Les sciences humaines, et grâce à leur rôle utilitaire, la psychologie-la psychanalyse et la sociologie se portent bien dans une société qui privilégie le didactisme purgé de toute idéologie, ainsi que des affirmations pleines de préjugés. La culture, les responsables des programmes culturels doivent se fixer des performances rudimentaires dans un premier temps. Les valeurs qui soutiennent les hommes dans leurs luttes pour la vie, et qui assurent une continuité d’abord de l’homme, demeurent nécessaires pour amorcer un élan sûr dans la voie du progrès via la connaissance. On peut à titre indicatif citer la nécessité de l’éveil des facultés de l’esprit, du degré de conscience. Cet homme/ cette femme, qu’on appelle de nos vœux, s’engagera à promouvoir la culture avec une fréquentation longue de l’école. Il s’agit d’agir sur les causes profondes pour entamer par des procédés efficients et tenant leur crédibilité du politique. L’éducation est un projet sociétal qui se doit d’associer toutes les énergies pour assurer la création-recréation des valeurs et leur transmission qui ne peut s’effectuer sans l’alphabétisation de toute la société d’abord, de toute la société encore et de toute la société enfin. La volonté seule y suffit.

Sur l'école

L’autre grand sujet de peur, c’est l’école, notre école qui vit des problèmes, des drames à n’en pas finir. Cette institution vit depuis plus d’un demi siècle dans l’errance pédagogique et managériale des plus inquiétantes. Là aussi, le secteur de l’enseignement a manqué aussi bien de vision que de visibilité. Les responsables qui se sont succédé n’ont pas trouvé malheureusement ni les idées ni les méthodologies de travail qui devaient faire sortir l’école du marasme dans lequel elle ne cesse de s’enfoncer. Résultat : déperdition d’énergies, de talents et même des vies. Notre école n’a jamais ni servi ni adopté de manière très heureuse l’élève. On peut rater son parcours scolaire pour un rien tant l’élève s’y sent positivement livré à lui-même face au défi de l’apprentissage dans sa gravité la plus désarmante. Plus même, on a tout fait pour rendre la tâche impraticable à l’enseignant par manque de moyens efficients, aussi bien matériels que moraux. Si la pédagogie est une variante de l’amour, elle est aussi fonction des vocations et non de réussites professionnelles critèriées sur la base de la rentabilité et autres paramètres du marché. Longtemps, on a sacrifié la formation professionnelle de l’enseignant ; actuellement encore, on la soumet aux vulgaires exigences du secteur privé. Nos enfants ne savent plus lire un texte même à la fin du collège. Ceux-là qui réussissent, à coup de cours particuliers, ne savent pas ou peinent à relier deux idées. C’est là le résultat de cette marchandisation de l’école qui n’est plus conçue comme un sanctuaire gardé pour l’expression des idées, l’épanouissement des vocations et l’apprentissage du civisme, mais plutôt de la réussite personnelle, et, exclusivement, de la réussite professionnelle. Notre école, privée ou publique, est vue comme un tremplin pour forger des carriéristes, ce qui n’est un mal que dans la mesure où ce travail n’est pas soutenu par une véritable culture fortement imprégnée des principes humanistes. Notre échec est la conséquence directe de tous les plans successifs pour réformer l’école et qui ont tantôt montré leurs limites tantôt échoué parce qu’on les a abordés sans le souci majeur qu’on avait à charge d’âme chères et partant du devenir d’une nation. Et au vu de ces marqueurs, notre école s’éloigne des standards des pays qui ont fait de l’école le fer de lance du progrès. Notre université n’a pas de place dans les classements parmi les universités des nations qui œuvrent pour une place de choix dans l’échiquier humain.Là aussi un énorme travail n’a pas été fait, mais qui exige d’être fait sous peine de chaos général qui menace notre nation des pires blessures de l’histoire. Et on ne fera assurément pas ce travail, et pour longtemps, tant que sévissent les conditions de paupérisation dans laquelle se trouve plongée notre école. Il n’y a qu’à voir l’état matériel de nos salles de classe, les programmes pédagogiques d’une conception intellectuelle d’un autre âge, d’une autre mentalité, ce qui les rend impraticables dans le temps et selon les logiques de l’apprentissage. Leurs unités pédagogiques sont impossibles à assimiler, indigestes, ineptes parfois. La surdité que les administrateurs de ce secteur opposent à toute critique constructive continue d’aggraver cette situation et d’enfoncer l’école dans l’enlisement endémique dans lequel elle se trouve.