Pensez le Futur.

Romance

Au commencement c'était le sang

Rachid entre dans la cuisine qui devient subitement trop étroite comme si les murs s’étaient rapprochés autour des deux frères. Lamine est occupé à préparer son petit-déjeuner. Les relents de haine empestent subitement l’air qu’ils respirent. Rachid fixe Lamine de ses yeux acérés. Ils échangent des propos oiseux dont le sens leur échappe ; ils sont sourds l’un à l’autre. Rachid voit Lamine comme une forme que la vie a déjà quittée. Il se dirige alors comme un aveugle guidé par instinct vers le service des couteaux suspendu au mur. Il se saisit d’une pièce pour des motifs qu’il ignore jusqu’à ce moment-là. Il agit en automate. Il ne sait comment saisir le sens de ce qui le guide comme sentiment, comme intention, comme crime. Son visage, d’un rictus hideux, est réfléchi dans la lame du couteau ; il a la laideur du mal. Il ne se reconnaît plus. Son visage devient subitement rougeaud ; ses mains tremblent. En ce moment, il a le couteau noir dans la main gauche ; il le reconnaît pour s’en être servi il y a quelques jours à l’occasion de la fête du sacrifice. Le couteau lui tombe subitement des mains. Il se penche pour s’en ressaisir. Ses mains semblent sans énergie, sans force, la volonté liquéfiée. Tout cela, Lamine l’observe de biais, les yeux hagards. Il a une vision claire du mal qu’il voit incarné devant lui ; il a le visage de Rachid. Toute idée de résistance est annihilée; il semble avoir compris enfin qu’il est en ce moment l’objet d’une hostilité mortelle qui anime ce frère. Ses yeux, qui n’expriment plus rien, sont fixés sur le couteau qui brille comme un soleil au zénith. Il a la vue offusquée ; et cette odeur pestilentielle qui règne dans l’air empoisonne son corps. Il est dépossédé de lui-même. Il a une conscience nette qu’il court un danger ; et ce danger est imparable. Il reste figé, les yeux hagards comme une bête promue au sacrifice. Il n’est peut-être plus qu’un cadavre qui sent, qui semble voir, mais qui ne peut agir ; un vertige intense le traverse. Victime consentante. Il finit par lever les yeux vers le plafond sale de la cuisine, puis les abaisse sur son frère. Sa gorge est alors traversée par le couteau effilé qu’il voit scintiller pour une dernière fois, maculé de sang. Sa trachée artérielle luit du sang chaud qui dégouline. Il porte la main sur sa gorge comme s’il voulait arrêter le flot du sang qui se déverse par saccades. Il comprend que la vie le quitte. Il se vide de son sang ; un sang luisant qui déborde maintenant et s’écoule sur son buste, arrive à sa taille. Ses yeux se sont portés vers son frère comme s’il lui adressait un ultime reproche sur ce qu’il vient de commettre. Rachid reste prostré devant le spectacle de malheur dont il vient de déclencher l’engrenage de l’horreur. Aucun mot n’est sorti de la bouche de Lamine qui semble vouloir dire quelque chose à son meurtrier. Il est clair qu’il a beaucoup de choses à dire : Un pardon ? Un reproche ? Un adieu, tout simplement ? Il prononce enfin une seule syllabe où il condense toute la misère de la douleur accumulée dans son cœur depuis que les hommes souffrent, et depuis que les hommes sont frères. Rachid ne peut ni voir ni entendre ; il vient d’assassiner son frère. Le spectacle du sang qui coule à flot maintenant par terre l’affole. Il se rend à l’évidence que son frère se meurt devant ses yeux, par ses propres mains. Lamine tombe raide sur ses bras tendus ; la vie vient de le quitter. Irréversiblement. Rachid s’affole ; ses jambes ne le supportent plus, il s’agenouille sur la marre de sang. De ses deux mains, il s’appuie sur la terre ensanglantée et aussi triste qu’une mère qui vient de perdre ses deux enfants. Il aurait aimé faire couler une seule larme pour laver son frère de son sang. Mais aucune n’est sortie de ses yeux à la couleur métallique. Extrait du roman Les Hommes de la nuit, Guiliz Mustapha

Dieu pardonne surement le mensonge pour une bonne cause Part1

Cela faisait des mois que sa maman souffrait d’une maladie gravissime. Autour d’elle tous savaient que sa vie allait être de plus en plus courte et qu’il n’était plus question que de peu de temps avant qu’elle ne les quitte à jamais. Elle était la seule à ne pas le savoir et à nourrir l’espoir d’une guérison quasi certaine. Au premier diagnostic les médecins pensaient pouvoir faire quelque miracle. Il en était heureux, convaincu qu’une intervention chirurgicale, œuvre d’un grand spécialiste, allait relancer la machine. Ce n’était qu’une illusion d’optique dirait ton. A son grand désarroi l’après-midi même on lui annonçait que l’opération n’était point possible. C’était trop tard. La maladie s’était répandue telle une constellation de centaines d’étoiles. Tout le corps de la pauvre maman était criblé de petites particules tranquilles en apparence, si dangereuses, si incontrôlables. Aucun médicament ne pouvaient les déloger de ce corps si pale, si frêle. L’impuissance. Avec ses sœurs Aoula et Tania présentes avec lui au chevet de la maman, ils décidèrent de ne rien dire ni à la maman, ni au papa qui naïvement leur faisait grande confiance et croyait tout ce qu’ils lui racontaient comme version des choses. Peut-être aussi qu’il faisait semblant pour ne pas les contredire du haut de ses 80 ans. Il fallait le ménager aussi pensaient-ils. Au contraire ils lui dirent que les médecins avaient vu qu’il n’était pas nécessaire d’opérer son épouse depuis un demi-siècle et plus et qu’avec une radiothérapie légère et une médication appropriée, tout allait rentrer dans l’ordre. Aujourd’hui il se rappelle encore du grand sourire de soulagement de sa maman qui disait à ceux qui lui rendait visite, le visage rayonnant, que Dieu merci elle allait s’en sortir sans opération. Elle le vivait comme un moment de triomphe contre la maladie, un moment de gloire, un moment de jouvence retrouvée. Son visage s’était illuminé et avait repris des couleurs…Ce furent les derniers moments de joie et de bonheur de la pauvre maman.

Dieu pardonne surement le mensonge pour une bonne cause...Part 2

Dieu pardonne certainement le mensonge pour une bonne cause. Le Hazard faisant bien les choses, des fois, cette période coïncida pile poils avec l’arrêt qu’il avait décidé pour sa carrière si longue et éprouvante. Il avait longuement réfléchi et s’était resigné à une pause qu’il entendait définitive. Cela le rendait disponible pour se tenir au côté de la maman qu’il chérissait tant. Il passait ainsi le plus clair de son temps à son chevet comme par ailleurs ses sœurs présentes à la maison familiale en permanence pour prendre soin de celle qui avait fait de huit portées, des universitaires appréciés, citoyens dévoués à leur pays. Il ne pouvait pas en être autrement. L’exemple était là une maman ayant fréquentée les premières classes de l’école moderne à Fès et un papa plus que dévoué à son métier. Les déplacements fréquents à la clinique pour des contrôles ou peut être pour y laisser encore et toujours des sous, étaient pour la maman synonymes d’espoir et pour eux de calvaire répété ; des moments renouvelés de la confirmation du désespoir ; Les choses empiraient chaque jour un peu plus, de manière exponentielle… Il se demandait tout le temps si cet acharnement médical était judicieux ou s’il était juste en train d’accélérer les choses. Jamais il n’aura de réponse à son questionnement. A chaque moment il souhaitait pour de bon ne pas revivre cette déchéance, s’il venait qu’il soit lui-même atteint un jour. Se doutant de quelque chose, un jour la maman demandera à la sœur Tania de lui expliquer pourquoi il était toujours là et pourquoi il ne travaillait plus. Elle voulait savoir si cela avait une relation avec son état de santé. Il senti alors qu’il qu’il devait peut-être disparaitre quelques jours. Histoire de rassurer la pauvre maman encore plus pale, encore plus frêle. Il décida alors d’aller à Brazzaville où depuis quelques années déjà, il organisait, pour le compte de la Mairie, à l’époque l’un des meilleurs festivals sportifs du continent. Pour cela le président congolais Sassou Nguessou l’avait fait Officier de l’ordre national. Une décoration qui chatouilla sa fierté et dont il parle souvent. Il était persuadé qu’un tel voyage allait rassurer la maman sur son état de santé et la tranquilliser. Il a lu cela dans ses yeux et l’entendit au ton de sa voix hésitante au moment de lui annoncer qu’il partait au Congo pour du travail. Deux jours après il arrivait à Brazzaville vers 2h du matin… A peine dans sa chambre la valise non encore défaite, qu’il reçoit un appel de sa sœur Tania, pris par une étonnante panique : « Elle est décédée », demanda-t-il sans même réfléchir ? Tania le rassure que non mais que la pauvre maman était rentrée dans un coma profond. La liaison Casablanca- Brazzaville et retour était quotidienne. Il n’avait donc qu’a attendre la nuit d’après pour rentrer. Il prit la peine de s’excuser auprès de mon hôte le maire Alfons L, alors directeur du festival et pris le chemin du retour. Il arriva au chevet de sa maman plongée dans un sommeil irréversible un 14 mars. Le soir vers 20 ou 21 heures, alors qu’il lui tenait la main, que son frère M lui récitait à haute voix Sourate Yacine, et que tous ses enfants : J, A, El, F son épouse, étaient autour du lit médical où la maman avait passé quelques semaines, dans la chambre qu’on avait spécialement aménagée pour elle ; elle rendit l’âme. Une dernière respiration profonde, un dernier soupir long et doux qui disaient long sur la souffrance endurée des mois durant. Sa main droite qu’il tenait tendrement se relâcha et se mit à refroidir. Le papa qui était là bien évidemment, n’en revenait pas. Alors qu’il annonçait à tous qu’elle était partie, le papa lui cria dessus que non et qu’il fallait juste la réanimer, regardant l’air autoritaire M, médecin d’une compétence avérée. Il a fallu quelques longues minutes pour que le papa revienne à la raison et accepte qu’il venait à ce moment précis de perdre son âme sœur. Celle qui avec brio lui avait donné 8 enfants et les avait tous éduqué de la meilleure des manières. C’est ainsi qu’est parti la défunte maman, voilà 17 ans jours pour jours. Le jour même sa sœur S donnait naissance à Z qu’on appelle aujourd’hui le bogoss du haut de ses 17 ans. Comme quoi la vie continue. Le lendemain du décès, alors que sa sœur rentrait à la maison son bébé en main, les autres s’apprêtaient à aller mettre sous terre le corps inerte de la mère paisiblement allongée, méticuleusement lavée et enveloppée dans le traditionnel linceul blanc. Avant de qu’elle ne soit complètement enfermé dans ce drap ; ils s’étaient tous penchés pour déposer un dernier bisou sur le franc de la défunte mais le sentait elle. Sentait telle la douleur qui déchiraient leurs entrailles. Tristesse, douleur, soutien des amis proches, solidarité de la famille élargie, encens et coran, quelques cris, s’entremêlaient dans un moment inoubliable, aux traces indélébiles. Chaque année la veille de ce triste anniversaire, sa fille l’appelle pour le soutenir car elle sait la douleur que la disparition de la maman avait ancré en lui. Elle lui demande alors de faire une offrande en son nom. Une somme symbolique qu’il remet au premier nécessiteux qui croise son chemin ce jour-là. Sa fille et sa grand-mère étaient très liées. Elle qui lui dit souvent : « C’est Lalla qui nous a appris à être les hommes et les femmes que nous sommes aujourd’hui, chacun de nous porte la trace de son exemple et de son enseignement. »

Mustapha Guiliz: La porte entrouverte...

« A travers l’écriture de ce livre j’aspire à une justice qui soit plus humaine et qui tend à assurer l’égalité entre les citoyens mais aussi le droit de s’épanouir » Cette phrase pleine de sens et de questionnement est de Si Mustapha Guiliz. Elle est tirée de l’article que le journal "L’économiste" a consacré le 3 janvier 2024 à la présentation du livre « les hommes de la nuit » paru aux éditions Orion dont le président fondateur n’est autre que Si Abdelhak Najib. L’article est suivi d’une interview édifiante de Si Mustapha Guiliz, signataire du livre. C'est un auteur que les lecteurs et membres de Bluwr ont eu le privilège de rencontrer et surtout d’apprécier à travers son article « L’éducation par les valeurs » paru donc dans Bluwr voilà moins d’un mois. Si Mustapha GUILIZ est un enseignant et un écrivain à qui on doit déjà "Le Monde d’Brahim" et "Au pays des sources". Contrairement au titre du livre, qui pourrait laisser penser que l’auteur serait un personnage terne, limite aigri, si Mustapha est un être agréable, au sourire juvénile plaisant, épanoui, indulgent et tendre. A son contact vous mesurez le recul qu’il prend par rapport aux sujets dont il traite. Ce détachement oh combien intelligent mais pas du tout indifférent, lui permet d’aller dans la profondeur des choses avec l’objectivité qui se doit et s'impose. Pour avoir un beau matin de novembre dernier eu une discussion de près d’une heure avec Si Mustapha, j’ai pu justement mesurer ce détachement et cette profondeur d’analyse philosophique. "Les Hommes de mon livre sont des Hommes avec un grand H qui se sont accommodés de la vie dans l’obscurité" dit il. En fait pour Si Mustapha tous les hommes méritent un nom avec un grand H et pas que les personnages de sa fiction inspirée. Dans un monde d’injustice, il rêve de justice. Dans un monde de souffrance de la femme, il rêve de conditions idéales pour elles toutes. Dans un monde d’abus de pouvoir, il rêve de modération et de pondération de pouvoir. Dans un univers de désespoir, il rêve d’épanouissement. Serait-il un idéaliste venu d’une autre planète, celle où il vogue pour faire vivre et côtoyer ses personnages ? Lui seul sait. En tous cas cette phrase « A travers l’écriture de ce livre j’aspire à une justice qui soit plus humaine et qui tend à assurer l’égalité entre les citoyens mais aussi le droit de s’épanouir » colle parfaitement au personnage qu’il est. Nous avons besoin de tant de gens comme lui pour nous révéler notre réalité mais aussi pour entrouvrir la porte de l’espoir et pour nous pousser à la défoncer. J’écris ses lignes pour signifier toutes mes félicitations à Si Mustapha qui par son livre commence à la perfection cette nouvelle année au service de la communauté et pour lui exprimer toute ma fierté à le connaitre et à publier des articles à ses côtés dans Bluwr ; avec l’espoir de le lire bientôt à nouveau sur la plateforme.

Les Aventures de Lavinia Merini - Première Partie

Devant la gare d’Oxford, sous un crachin où se confondaient les heures, les taxis et les bus à un ou deux étages dansent le ballet compliqué qui charrie annuellement professeurs et étudiants de l’université durant le troisième samedi de septembre. Derrière d’épaisses lunettes noires, sous un chapeau de feutre large noyé d’un débordement de mousseline, des yeux invisibles scrutent l’écran d’un téléphone que tapote un doigt agile. C’est le premier jour de Lavinia Merini à Oxford et elle ne se prive pas de le faire savoir à la foule nombreuse qui la suit et l’acclame bruyamment à coups de pouces levés sur la scène publique d’Internet. On se moque souvent de ces amitiés virtuelles qu’on obtient en effleurant du verre par-dessus un réseau compliqué de puces, de câbles microscopiques, de métaux précieux qui valent aujourd'hui plus que de l’or ; mais pour Lavinia Merini, c’était enfin la consécration, le succès ultime, la reconnaissance tant espérée. Avant Facebook, Twitter et Instagram, Lavinia n’avait probablement jamais parlé à personne sans bredouiller aux bords des larmes. Aucun de ceux qui l’avaient déjà brièvement croisée n’aurait pu imaginer comment, une fois seule, elle pouvait se griffer les joues, se gifler, se rouler par-terre, de rage de n’avoir dit à temps la phrase parfaite ou d’avoir commis quelque impair qui l’eût fait paraître moins qu’idéale. Sur un rebord de trottoir humide, sous une coiffe pareille à un large turban, dépouille d’un chef ottoman défait, un homme à la peau sombre, aux habits couleur de terre et de misère, range un violon dans son étui ; il pleut trop, à présent, pour jouer. Lavinia soutient son regard à travers les verres noirs de ses lunettes et jette une pièce dans le pot noir demeuré à terre. Un taxi s’arrête devant Lavinia ; elle s’y engouffre. Sur son téléphone, Lavinia relisait l’e-mail qu’elle avait reçu deux mois plus tôt, la conviant à un entretien. Enseigner à Oxford n’était pas dans les plans de Lavinia – persuadée qu’elle était d’avoir raté sa vie depuis qu’elle avait seize ans, mais cette lettre lui était pour ainsi dire tombée dessus ; à croire que raconter sa non-vie en statuts lapidaires commentant des photographies incongrues avait du jour au lendemain suffi à lui attirer la faveur des dieux académiques qu’elle avait reniés faute de pouvoir s’assurer leurs grâces. Il y avait eu aussi l’improbable roman fantastique qu’elle avait publié à dix-huit ans – on l’avait surnommée la nouvelle Mary Shelley – et huit mois plus tard, moins pardonnable encore, le pastiche universitaire, la pseudo-thèse de huit cent pages en trois volumes que s’étaient arrachés des éditeurs peu scrupuleux. Descendue du taxi à High Street, Lavinia avisa qu’il lui restait bien deux heures avant l’entretien. Elle avait vu, à travers les vitres ruisselantes, l’entrée imposante de Christ Church, puis après un tournant le tumulte du centre-ville, les portes du marché couvert, la survie miraculeuse des cyclistes entre les croisements compliqués des autobus. Elle entra dans un café, bousculant au passage les chaises et les tables à grands coups de malles. Assise devant un thé qui allait bientôt atteindre la température idéale, elle surveillait le passage des minutes, griffonnant de temps en temps dans un carnet dont la couverture imitait artistement les ornements d’un missel tridentin. Lavinia, bébé, avait l'air simiesque et sérieux des Nativités maniéristes où les peintres ont tenté, pour le meilleur et pour le pire, de représenter l'éternelle Sagesse sur un visage d'enfant. De Lavinia dans ses langes, on ne voyait que d'énormes yeux, d'un marron presque jaune, puis on s'apercevait du front bombé, qu'on aurait dit gonflé, et des doigts d'une longueur et d'une finesse absurdes au bout des mains potelées. Lavinia aimait les contes, les belles histoires un peu cruelles qu'elle se réjouissant de retrouver, d'un recueil à l'autre, légèrement changées. L'une d'elles particulièrement, la fascinait, où un jeune prince, cadet mal-aimé, était conduit par la chute d'une plume à explorer un souterrain débordant de joyaux. Lavinia regardait longuement l'illustration où était une grenade de rubis dans son feuillage d'émeraude, moins longtemps cependant qu'une autre image où les yeux immenses du prince pleuraient entre des cils démesurés. Elle aurait voulu que tout fût beau comme dans les beaux livres. Elle pouvait rester assise, des heures durant, à s'inventer des histoires où, comme dans un livre, elle était « elle » pour elle-même, à la troisième personne. Quand Lavinia avait pleuré, elle grimpait au rebord de la baignoire pour se hisser jusqu'au grand miroir de la salle de bains, et elle voyait que ses yeux étaient tout pareils aux beaux yeux du prince, dans le conte du souterrain plein de joyaux. On parle souvent des enfants prodiges, surtout quand ils s’intéressent aux sciences ; les prodiges des lettres tombent dans l’oubli parce qu’il n’y a aucun mérite à lire très vite ou à parler très bien plusieurs langues. Lavinia, à neuf ans, en parlait dix sans peine et bien qu’elle galérât à ne pas glisser des mots de mandarin en parlant tagalog, c’était deux fois plus que Karl Witte qui au même âge n’en parlait que cinq et, m’a-t-on dit, fort mal. Tout le monde espérait beaucoup de Lavinia : « Un génie ! » affirmait son père qui raffolait d’elle ; « Un génie ! », renchérissaient les précepteurs et les gouvernantes. On lui laissait faire ce qu’elle voulait, c’est-à-dire lire des livres et jouer à en écrire, au prétexte qu’elle en savait plus que beaucoup de grandes personnes et ne se privait pas de le montrer. Lavinia n’était pourtant pas un génie. Elle était en réalité plutôt lente à comprendre, plus lente encore à analyser. Elle n’avait pour elle qu’une aberrante mémoire aggravée d’une sensibilité maladive. Quand Lavinia avait quatre ans, une gouvernante un peu novice lui avait fait remarquer qu’ « après que » était suivi par l’indicatif, Lavinia avait hurlé de rage et jeté au feu le Bescherelle, le Littré et le Dictionnaire des difficultés de la langue française, sous le regard éberlué de la gouvernante qui décampa sans demander son reste. Après la grande querelle de l’indicatif, Lavinia fut conservée comme dans du coton ; et comme les pousses vertes des haricots et les lentilles qu’elle s’amusait à faire croître sur de la ouate blanche humidifiée avec précaution, Lavinia germa vite, poussa brusquement puis commença de dodeliner de la tête dans un mortel ennui.

Sur l'école

L’autre grand sujet de peur, c’est l’école, notre école qui vit des problèmes, des drames à n’en pas finir. Cette institution vit depuis plus d’un demi siècle dans l’errance pédagogique et managériale des plus inquiétantes. Là aussi, le secteur de l’enseignement a manqué aussi bien de vision que de visibilité. Les responsables qui se sont succédé n’ont pas trouvé malheureusement ni les idées ni les méthodologies de travail qui devaient faire sortir l’école du marasme dans lequel elle ne cesse de s’enfoncer. Résultat : déperdition d’énergies, de talents et même des vies. Notre école n’a jamais ni servi ni adopté de manière très heureuse l’élève. On peut rater son parcours scolaire pour un rien tant l’élève s’y sent positivement livré à lui-même face au défi de l’apprentissage dans sa gravité la plus désarmante. Plus même, on a tout fait pour rendre la tâche impraticable à l’enseignant par manque de moyens efficients, aussi bien matériels que moraux. Si la pédagogie est une variante de l’amour, elle est aussi fonction des vocations et non de réussites professionnelles critèriées sur la base de la rentabilité et autres paramètres du marché. Longtemps, on a sacrifié la formation professionnelle de l’enseignant ; actuellement encore, on la soumet aux vulgaires exigences du secteur privé. Nos enfants ne savent plus lire un texte même à la fin du collège. Ceux-là qui réussissent, à coup de cours particuliers, ne savent pas ou peinent à relier deux idées. C’est là le résultat de cette marchandisation de l’école qui n’est plus conçue comme un sanctuaire gardé pour l’expression des idées, l’épanouissement des vocations et l’apprentissage du civisme, mais plutôt de la réussite personnelle, et, exclusivement, de la réussite professionnelle. Notre école, privée ou publique, est vue comme un tremplin pour forger des carriéristes, ce qui n’est un mal que dans la mesure où ce travail n’est pas soutenu par une véritable culture fortement imprégnée des principes humanistes. Notre échec est la conséquence directe de tous les plans successifs pour réformer l’école et qui ont tantôt montré leurs limites tantôt échoué parce qu’on les a abordés sans le souci majeur qu’on avait à charge d’âme chères et partant du devenir d’une nation. Et au vu de ces marqueurs, notre école s’éloigne des standards des pays qui ont fait de l’école le fer de lance du progrès. Notre université n’a pas de place dans les classements parmi les universités des nations qui œuvrent pour une place de choix dans l’échiquier humain.Là aussi un énorme travail n’a pas été fait, mais qui exige d’être fait sous peine de chaos général qui menace notre nation des pires blessures de l’histoire. Et on ne fera assurément pas ce travail, et pour longtemps, tant que sévissent les conditions de paupérisation dans laquelle se trouve plongée notre école. Il n’y a qu’à voir l’état matériel de nos salles de classe, les programmes pédagogiques d’une conception intellectuelle d’un autre âge, d’une autre mentalité, ce qui les rend impraticables dans le temps et selon les logiques de l’apprentissage. Leurs unités pédagogiques sont impossibles à assimiler, indigestes, ineptes parfois. La surdité que les administrateurs de ce secteur opposent à toute critique constructive continue d’aggraver cette situation et d’enfoncer l’école dans l’enlisement endémique dans lequel elle se trouve.

Lettre à Olympe de Gouges

Chère Madame Olympe de Gouges, Après l’expression de mon respect, Je tiens à vous exprimer ma profonde admiration pour votre lettre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et pour votre engagement indéfectible en faveur des droits des femmes. Votre lettre est bien plus qu’une simple déclaration ; elle représente une voix audacieuse ayant contribué à éclairer la société sur les injustices auxquelles les femmes se trouvaient confrontées à l’époque, et qui malheureusement sont toujours là aujourd’hui pour certaines. Votre déclaration résonne encore comme un véritable catalyseur pour un changement social impératif. Vous avez eu le courage de dénoncer l’injustice de l’inégalité des sexes et de revendiquer des droits égaux pour les femmes dans une période où de telles idées étaient considérées comme subversives. Vous avez mis en lumière la nécessité d’une égalité réelle et non de façade entre les sexes, par votre insistance sur le fait que les femmes devaient jouir des mêmes droits que les hommes. Je puis dire que votre lettre a ouvert la voie à de nombreuses autres notamment celles des féministes qui ont suivi, inspirant des générations de femmes et d’hommes à lutter pour l’égalité souhaitée. Elle a contribué à éveiller les consciences et à briser les chaînes de la résistance voire de l'oppression. Vos mots ont donné de la force aux femmes pour revendiquer leur place dans la société, pour lutter pour leur émancipation et pour défier les normes entre autres patriarcales qui les retenaient. Aujourd’hui, votre lettre continue d’inspirer des mouvements féministes et autres du monde entier. Elle est un appel constant de la nécessité de poursuivre le combat noble pour l’égalité, non seulement des droits politiques, mais aussi des droits économiques, sociaux et culturels. Votre travail est un précieux héritage inspirant la persévérance et rappelant que l’injustice envers les femmes doit être confrontée et surmontée. Votre courage et votre détermination à écrire une telle lettre, malgré les risques personnels que vous encouriez à l’époque, sont toujours dignes d'admiration. Vous avez laissé un impact indélébile sur l’histoire des droits des femmes. Nous vous en sommes profondément reconnaissants. Votre contribution puissante à la modernisation de la société est là à jamais. Permettez-moi enfin de conclure chère madame que votre lettre reste un exemple intemporel de la puissance des mots pour provoquer le changement et un rappel de l’importance de la persévérance dans la lutte pour la justice et l’égalité. Avec ma plus grande admiration. Yassir Sahere

Genèse...

Genèse Je me plais beaucoup à regarder par les fenêtres, n’importe quelles fenêtres. Les fenêtres m’ont toujours offert un tableau de la vie. Un tableau qui change tout le temps, un tableau que je suis le seul à voir avant qu’il ne disparaisse à jamais. C’est peut-être de là que me vient le gout de l’éphémère. C’est ma seule certitude. Ce dont je suis certain aussi est que cela me vient du fait que bébé et jeune enfant ma maman me mettait à la fenêtre où je m’agrippais à un grillage. Une occasion d'être à la fois dedans et dehors et de la laisser vaquer à ses nombreuses responsabilités de femme au foyer. C’était un grillage traditionnel marocain, bien de chez nous. Aujourd’hui j’ai repris ce même design de grillage aux fenêtres et aux balcons de ma maison. Je suis en fait resté l’éternel enfant de ma maman, sans doute comme nous le restons tous, mais probablement différemment, autrement, particulièrement. La fenêtre est une échappatoire de l’exiguïté de la maison. Toutes les maisons sont exiguës en fait. La maison paradoxalement à sa petitesse est un espace de liberté, d’intimité et de sécurité. Elle est aussi un espace qui éloigne l’horizon et le rend sublime. La fenêtre me permettait de lever la tête et de regarder loin. Le plus loin que cette fenêtre me permettait de voir. La maison cultive le rêve, la fenêtre l'arrose. Le soir de la disparition de ma maman, je me suis mis à la fenêtre. Il me sembla réécouter sa voix me parlant de loin pour me rassurer. Ma maman m’aimait beaucoup. Elle ne le disait pas mais me le faisait sentir par le ton de sa voix, par son regard et un léger sourire du coin des lèvres. Un sourire dont elle avait le secret. Il était génétique le sourire de ma maman. Je voyais bien qu’elle le tenait de ma grand-mère. Elle avait le même sourire Cherifa Lalla Zhour. Ma maman n’était pas expansive. Elle a étendu son amour à mes enfants plus tard et je le ressentais. J’étais son ainé, sa première expérience de femme, ses premières douleurs, son premier accouchement, le premier cri de bébé à ses oreilles. Je lui dois beaucoup à ma maman, la sensation du crayon à la main, la palpation de la douceur du papier avant d’y écrire, le gout de la lecture et le plaisir du travail manuel. Ma maman a fait partie des premières classes de l’école moderne à Fès. Mon grand-père maternel Si Ahmed Ben Ali, avait eu l’intelligence de la mettre à l’école contre l’avis des gens d’alors, famille, voisins et curieux. Elle parcourait une longue distance de Saqaet El abbassyine à son école. C’était à Fès j’did, quartier de grands nationalistes, intellectuels, artistes et commis de l’état : Bahnini, Benbouchta, Moulay Ahmed El Alaoui, Ahmed Chajai et tant d’autres, C’est le fief du Wydad de Fes. J’ai beaucoup de souvenirs merveilleux à Saqaet El Abbassyine. De temps à autre je vais marcher là, histoire de me ressourcer. Le délabrement de Bab Riafa, le passage triste par Lalla ghriba pour arriver à Saquaet El Abbasyine, la continuité par Sidi Hmama pour arriver a Qobt Assouk, m’attristent à chaque fois. Alors pour ravaler ma douleur et ma peine, je m’en vais m’attabler à Bab Boujloud pour y déguster un bon verre de thé préparé dans un samovar traditionnel, sous le fameux murier. La magie de Fès n’a pas d’égale. Mon père lui, c’était l’affection dans l’absolu. L’Homme exemple. L’Homme qui a forgé ma fierté et engagé ma vie au service du pays. Marocain dans l’âme, attaché à la terre de ses ancêtres. Fier d’avoir été nationaliste actif contre le protectorat. Lui qui parlait de la lutte des siens contre les militaires français. Lui qui a gardé un souvenir des plus frais des combats de Bou Gafer et de la bataille courageuse des siens. Lui qui était heureux d’avoir servi son pays mais aussi déçu de l’évolution de certaines choses. Il disait qu’on était en train de perdre notre âme avec le déclin de notre attachement à nos valeurs ancestrales ; Lui dont toutes les familles de Rabat, l’ancien, se rappellent et se souviennent encore pour avoir soigné leurs enfants, soulagé leurs douleurs. Il est parti certain que le Maroc aurait pu mieux faire. Il est resté attaché a ses parents et les adorait, attaché à sa terre natale qu'il visita chaque année, attaché aux siens auxquels il a offert un terrain pour y étendre le cimetière de Sidi Daoud, son village de toujours, aujourd'hui englouti dans un Ouarzazate sans âme. Je ne m'en étonne point. Mon père est descendant direct de Sidi Daoud, un Cheikh Soufi et grand Alem qui a laissé de nombreuses œuvres dont le fameux: Oumahat Al wataeq, Al mountafaa bih fi Anawazil. Mon papa adorait Rabat et sa plage. C’est là qu’il a vu la mer pour la première fois de sa vie, lui qui vient de l’autre côté du Grand Atlas que le changement climatique est en train de changer. C’est à la plage de Rabat qu’il a appris à nager. Aujourd’hui sa tombe surplombe cette belle plage et l’océan. Sa sépulture baigne dans l’air marin qui souffle en continu sur le haut de la colline, gîte ultime de milliers d’âmes au repos, de vies riches et moins riches et de souvenirs à jamais disparues. Le cimetière renseigne fort bien sur la place que nous réservons à nos morts et elle n’est point à notre honneur. Je suis donc comme mes frères et sœurs: Jalil, Moughni, Rajae, Atika, Abdelmoutaleb, Elhoussein, Soumaya, une sorte d’accident de la nature. Un papa qui vient d’Ouarzazate épouser une fille de Fès ; voilà qui était rare. Nous sommes en 1950. Elle est toujours là la maternité où mes poumons se sont remplis pour la première fois d’air et où j’ai poussé le cri qui annonçait ma venue à la vie. On était mardi 11h37 du matin, le 15 mai 1951. A chaque fois que je passe par là, quelque chose me ramène à des souvenirs que je me suis fabriqués d’après les récits de maman. Je revois sa fierté à elle et la joie de mon papa à ma venue au monde. Le hasard a fait que sur le chemin pour enterrer ma maman, et mon papa, quelques années plus tard, on a longé la muraille des almohades. La maternité historique de Rabat est juste derrière. La boucle fut ainsi bouclée. Ma Maman s'appelait Lalla Amina Makhloufi et mon père Ahmed Belhoucine El Ouarzazi. Le préposé à l'état civil lui a imposé le nom de Daouda, sans doute parce qu'il est né à Sidi Daoud ou simplement parce que cette personne était sous le joug d'un séjour passé en Afrique sub-saharienne... Aziz Daouda