Pensez le Futur.

Les Soupirs d'Azemmour 2968

Allant vers Oualidia, histoire de profiter de sa belle lagune, de ses huitres et poissons, ma fille, mon épouse et moi-même décidâmes de faire une petite halte à Azemmour. Je m’étais promis d’y amener ma fille à la première occasion qui se présente. Nous sommes ici à une encablure de Casablanca, à une poignée de kilomètres d’El-Jadida et non loin de Jorf Lasfar, une fierté de l’industrialisation du Maroc moderne. J’ai personnellement un petit quelque chose pour cette ville. Rares sont les villes aussi envoutantes. Je ne puis m’expliquer pourquoi. Très vite vous y êtes tantôt berbère en Jellaba courte, tchamir et babouches à la tête arrondie ou pointue ; tantôt phénicien drapé de blanc un peu comme s’habillaient les grecs en leur temps de gloire ; tantôt portant la toge d’un citoyen romain fier ou le turban bleu d’un Berghouata rugueux. Vous y imaginez des portugais chantant leur triomphe à la prise de la ville. Vous y entendez, le bruit de vos pas sur un pavé vieilli, évoquant celui de l’armée Saadienne reprenant possession des remparts. Le bruit et vociférations des soldats y résonnent encore et toujours ; mais en silence. Au tournant d’une ruelle de la cité antique, vous entendez la voix lointaine et confuse de Sidi Abderahman El Mejdoub, criant sa douleur devant le mal, questionnant le monde et l’univers. Au tourant de l’autre vous interpelle la voix chuchotant, à peine perceptible, de Rabbi Abraham Moul Ness et ses prières à l’aube et au crépuscule. Sidi Brahim pour les musulmans…les deux religions peinent à se donner des frontières ici… D’ailleurs c’est une sorte de miracle qui révéla aux deux communautés qu’Abraham était bien un saint…Les citoyens venaient d’installer un moulin juste en face de la grotte où il passait son temps à méditer et prier…Les bêtes qui faisaient tourner le moulin tombaient vite malades et mourraient l’une après l’autre. On comprit alors qu’Abraham ne voulait pas être dérangé dans sa méditation…depuis il est Rabbi Abraham pour les juifs, Sidi Brahim pour les musulmans, saint pour les deux. Plus loin dans la ville, ce sont des jeunes plutôt silencieux, à l’air certainement soucieux, le regard cafardeux, qui vous font face au tournant d’une ruelle. Certains de ceux qui vous croisent ont le regard étonnamment hagard, comme pour exprimer une lassitude ou un dégout ; peut-être même une colère profonde et des blessures répétées. Au coin de la rue d’en face, sur une petite place difforme c’est le son saccadé d’un métier à tisser qui vous interpelle. L’un des rares Deraz encore en activité tisse comme chaque jour des écharpes et des foulards en laine ou en soie…Les touristes aiment ça mais ne viennent pas souvent… Il ne se lasse pas. Il travaille, aime beaucoup son métier et attend des jours meilleurs ou tout au moins que la guerre au moyen orient s’arrête… Au fond de lui, il doit souhaiter que ses amis israéliens reviennent à la raison et chassent vite du pouvoir leurs dirigeants actuels ; des névrosés assoiffés de sang plus qu’autre chose. Il attend le Moussem mais ne sait pas si les marocains juifs qui reviennent annuellement pour le pèlerinage seraient encore nombreux. La maison de l’artisan est silencieuse et attend aussi… Elle attend souvent qu’un petit groupe passe par là pour enfin s’animer un petit peu, pour une heure ou deux. Les maitres artisans qui y séjournent semblent plutôt regarder filer le temps. Leurs yeux sont nostalgiques d’un passé proche sans doute idéalisé et d’un passé plus lointain chargé de richesse et de puissance à jamais révolu. Une dame d’un âge certain, sans gêne aucune, vêtue d’un pyjama qui en a vu des vertes et des pas mûres, est là devant chez elle sur un tabouret, assise. La porte de sa modeste demeure peinte en bleu est grande ouverte. La dame déborde un peu la petite dimension de son tabouret. Son regard est vide. Elle ne remarque pas nos silhouettes et semble ne pas entendre nos pas involontairement légers, comme pour ne pas déranger l’histoire ou remuer la colère des murs abandonnés, des maisons aux portes murées, celles que le temps a abattues et celles qui attendent passivement le signal de la dégringolade de pierres millénaires fatiguées et qui ne tiennent plus à rien. Derrière des portes d’antan de quelques bâtisses encore debout - et il y en encore beaucoup Dieu merci - et quelques maisons non encore fermées aux cadenas ou tombées dans l’oubli des temps et des humains, on devine des jeunes filles s’affairer à la broderie. Elles ne sont plus très nombreuses à éprouver une passion pour cet art ancestral spécifique à la ville avec ses couleurs vives et ses dragons. Que font les dragons ici sinon rappeler un passé si lointain qu’on n’en perçoit pas le fond. Par oui dire certaines disent que c’est un marchand portugais qui introduisit cet art entre les murs de la ville. Au coin d’une petite place, comme il y en beaucoup dans la cité, devant une épicerie aussi petite que peu soignée, se tiennent des jeunes oisifs. L’un d’eux ressemble forcément à Mustapha Azemmouri, celui dit Esteban le Maure ou encore Estevanico. Peut être même qu’il en porte les gênes. Sans Estevanico, jamais l’Amérique du Nord n’aurait été ce qu’elle est aujourd’hui. Quelle destinée! Partir d’une telle contrée pour aller déterminer l’histoire d’une autre de l’autre côté de l’Atlantique. En sortant par l’une des portes de la cité ancienne vous avez une seule pensée : Azemmour se cherche un présent qui ne vient pas. Elle agonise et se meurt assurément. Peut-être même qu’elle est déjà morte. Voilà quelques temps Karim Boukhari, dans un article en disait : « J’ai visité Azemmour. Un ami, originaire de la ville, m’a prévenu : attention, m’a-t-il dit, c’est une ville morte. » Pour s’en apercevoir faites une balade au pied de la muraille coté oued. Une esplanade que mon ami Zaki Semlali a aménagé avec le peu de moyens dont il dispose pour redonner vie à cette relation particulière qu’a la ville avec Oum Rebi3. Aujourd’hui le plastique y est hélas plus abondant que les poissons. Finies l'alose et les belles ombrines charnues… Certains pans de la muraille et des habitations coulent vers l’oued comme des larmes de la peine subie. La nostalgique Azemmour lorgne l’Atlantique et regarde impuissante se fracasser les vagues au loin… J’implore le tout puissant pour que ce bout de notre histoire précieuse puisse enfin bénéficier de l’attention de nos gouvernants. Ma fille, mon épouse et moi-même sommes repartis tristes, blessés au plus profond de nos âmes mais la voix sublime de Sanaa Marahati chantant quelques poèmes écrits quelque part dans la cité nous fait croire à un avenir meilleur pour Azemmour.
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Aziz Daouda

Aziz Daouda

Directeur Technique et du Développement de la Confédération Africaine d'Athlétisme. Passionné du Maroc, passionné d'Afrique. Concerné par ce qui se passe, formulant mon point de vue quand j'en ai un. Humaniste, j'essaye de l'être, humain je veux l'être. Mon histoire est intimement liée à l'athlétisme marocain et mondial. J'ai eu le privilège de participer à la gloire de mon pays .


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Leïla Slimani: quand une parole pour plaire trahit, la réalité de tout un pays... 75

Les récentes déclarations de l’écrivaine Leila Slimani, marocaine pour nous, Franco-marocaine pour les plateaux de télévision, ne sont pas du tout passées comme une lettre à la poste. Leïla Slimani a eu un propos tout particulièrement au sujet des femmes et des mères marocaines qui a suscité une vive controverse dépassant la simple divergence d’opinion. Leila était parmi les invités de l'émission "Tout le monde en parle". Une émission qui a survécu à son concepteur Thiery Ardisson, au Québec et pas en France. Les propos en question, perçus comme condescendants, déconnectés des réalités sociales et culturels du Maroc, ont profondément heurté de très nombreuses Marocaines. Notamment et en premier celles qui, comme elle, écrivent en français et s'abreuvent d'émissions culturelles en français. Elles ne lui ont pas passé les propos, loin de là. Beaucoup lui ont répondu. Certaines plus sèchement que d’autres. Elle en a reçu sur la gueule comme jamais dans sa vie. Les réactions sont posées, argumentées et sans ménagements même si gentiment débitées. Certaines sont de véritables leçons à l'adresse de quelqu'un qui a bien mérité un rappel à l'ordre et des plus puissants. Toutes lui rappellent que souvent bon nombre de mamans, contraintes par des conditions difficiles, ont élevé leurs enfants avec courage, dignité et un sens aigu des valeurs, et elles refusent aujourd’hui que leur engagement soit réduit à des clichés simplistes ou à des jugements à sens unique dont le seul but est de faire le buzz sur les plateaux de télévision. Sur les réseaux sociaux et dans les espaces publics, la réaction a été unanime et passionnée. Les femmes marocaines, du moins celles qui se sont exprimées, ont rejeté fermement la vision stéréotypée dont elles ont été victimes, dénonçant une posture parfois moralisatrice et occidentalisée qui ignore la complexité et la richesse de leur vécu. Leur rôle ne peut ni se réduire ni se caricaturer, car il est fondamental dans la construction de la société marocaine, elle-même en mutation mais profondément enracinée dans ses traditions, sa résilience et son identité propre. La phrase où Leila Slimani parle de la vengeance comme une valeur que les mamans enseigneraient à leurs enfants, les filles en particulier, ne passe pas et ne passera pas. Elle a avancé en exemple sa propre grand mère, absente pour la contredire... Cette expression est tout authentiquement inappropriée que fallacieuse. C'est plutôt le contraire qui est vrai : l'une des valeurs fondamentales de la société marocaine est justement le pardon. Le pardon est ici enseigné et vécu au quotidien dans le relationnel sociétal. La vie tourne autour du pardon. Le mot pardon en darija est prononcé des dizaines de fois par jour par tous ici. Lalla Leila, faut-il vraiment vous rappeler que la culture marocaine ne se nourrit pas de rancune et encre moins de vengeance, mais d’exigence : une exigence de respect et de nuance. Aujourd'hui, la société marocaine progresse, mais elle rejette fermement les jugements extérieurs imposés sans une connaissance approfondie du contexte local, qu'il soit cultuel ou culturel. En tant que figure publique représentant le Maroc sur la scène internationale, si vous le voulez bien, vous devriez faire preuve d’une plus grande prudence et d’empathie dans vos propos. Dire une vérité est une chose, l'inventer en est une autre, d'autant plus que la circonstance n'était point une fiction mais bien une émission grand public. Cette polémique met en lumière une fracture symbolique persistante entre une certaine élite installée à l’étranger et le Maroc réel, celui qui vit, lutte et avance à son rythme certes mais avance très bien. Critiquer est légitime, remettre en cause est salutaire mais cela doit toujours se faire avec rigueur, responsabilité et surtout dans le respect. La parole publique ne doit jamais humilier ni infantiliser les femmes marocaines et encore moins dans leur rôle essentiel et vital : celui d'élever les nouvelles générations. Le Maroc ne se fige pas dans des stéréotypes. Les femmes marocaines, qu’elles soient avocates, entrepreneures, enseignantes, artistes, ouvrières, artisanes ou mères au foyer, mènent chaque jour, dans l’ombre des combats essentiels, fondés sur une force tranquille digne d’admiration. Leur modernité est un processus intérieur, patient et authentique, qui n’a rien à envier aux discours importés. Leur devenir est entre leurs mains et ne se fera pas au gré de paroles prononcées ici ou là dans le seul but d'épater une assistance avide d'orientalisme primaire. Au-delà, cette affaire révèle plus largement la difficulté que rencontrent certains Marocains et Marocaines de la diaspora à concilier distance et sensibilité vis-à-vis de leur pays d’origine. C’est d’un pont qu’avait besoin ce dialogue, fondé sur une écoute sincère et un partage respectueux des expériences. À travers cette maladresse, Leïla Slimani a montré combien une parole déconnectée peut blesser profondément, surtout lorsqu’elle émane de l’une des nôtres. Et si l'expression prononcée par Leïla Slimani ne faisait que traduire son ressenti personnel et peut être un désir de vengeance refoulé en relation avec son passé familial. Son papa, le défunt Othmane Slimani, éminent économiste, après avoir été ministre et patron de banque, avait connu une véritable descente aux enfers, accusé de malversations. Il succombera à un cancer des poumons avant la fin du processus judiciaire, ayant fait appel suite à un premier jugement le condamnant en première instance. Il faut reconnaître cependant au défunt que c'est sous sa présidence de la Fédération Royale Marocaine de Football que l'Équipe Nationale du Maroc de Football avait remporté l'unique titre africain qu'elle détient à ce jour. C'était en 1976. Les marocains n'ont jamais oublié cette épopée et en remercie toujours Si Slimani, le sélectionneur Mehdi Belmejdoub, l'entraineur Mardarescu et les joueurs de l'époque avec à leur tête Ahmed Faras. Madame Slimani, qui mérite le respect pour ce qu'elle est, doit simplement intégrer que le Maroc ne réclame pas de leçons, mais une compréhension véritable et un dialogue respectueux pour accompagner sa transformation et les grands progrès engrangés. Le fait de colporter des inepties et des idées qui ne collent ni à son histoire, ni aux valeurs de ses citoyens et encore moins à celles de ses femmes, n'honore pas une écrivaine qui aspire à marquer l'histoire. Beaucoup avant elle ont tenté le même cheminement dans leur quête de vouloir être plus royalistes que le roi; jamais personne n'a réussi. Le Maroc, on peut le quitter, mais lui ne nous quitte jamais, et c'est pour cela qu'il faut le respecter. le Maroc c'est surement bien manger, bien boire mais pas se venger. C'est là ma réponse à Leila Slimani au nom de ma mère, de ma grand-mère et de toutes les mères et grands-mères, si elles me le permettaient...