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LE CANCER DE L’ENFANT; Qu’en est-il au Maroc ? 1311

Le cancer de l'enfant est une maladie grave, menaçant la vie. Il est rare, représentant 1 à 3% des cancers humains, soit une incidence de 400.000 dans le monde. Sa présentation est souvent spectaculaire, son évolution très rapide, fatale sans traitement. Ses exigences sont nombreuses. Elle a, d'une part, un coût financier élevé : analyses médicales, médicaments, déplacements, séjours dans la ville du traitement, et d'autre part, une implication sociale et psychoaffective élevée : absentéisme professionnel des parents, scolarité interrompue, séparation de l’enfant et parfois de la mère d’avec le reste de la famille. Souvent la fratrie et le père se sentent négligés puis résignés. Enfin, le cancer exige une compréhension de la maladie par la famille pour une meilleure coopération avec les soignants. Cependant, à côté de ces exigences, il faut rappeler que les progrès réalisés dans le traitement du cancer de l'enfant sont énormes. Dans les années 1970, le but du traitement était un malade vivant, quel que soit le prix à payer en toxicité ; actuellement le but est un survivant sain, ceci en assurant une désescalade thérapeutique sans diminuer les acquis. La Chirurgie est conservatrice chaque fois que cela est possible, la radiothérapie connaît moins d’indications, et quand elle est nécessaire, elle est adaptée à l’enfant. La chimiothérapie est l’arme maîtresse, elle tend à être plus courte et moins toxique. La réanimation, le traitement de la douleur et la transfusion, enregistrent des progrès notables. Une conception nouvelle des unités d’oncologie est apparue : unités ouvertes, hygiène plus simple, admission des familles, animation, école à l’hôpital, soutien psychologique, hôpital de jour, hospitalisation à domicile, associations parentales, maisons des parents. Les résultats actuels se traduisent par 80 % de survie dans les pays développés. Cependant, dans les pays en développement, le taux de guérison reste faible, en raison du retard du diagnostic, du faible accès aux soins, de l'insuffisance des moyens humains et matériels et de l'abandon du traitement. Qu’en est-il au Maroc ? A l'Hôpital d'Enfants de Rabat, à la fin des années 1970, beaucoup d'enfants mourraient de leucémies et autres cancers. Un enfant chez qui on diagnostiquait un cancer était condamné à brève échéance, sauf si sa tumeur était localisée, ou si les conditions de sa famille permettaient un transfert sanitaire à l'Etranger avec ses couts financier, social et psychoaffectif très élevés. Au début des années 1980, deux petites unités d’hémato-oncologie pédiatrique ont vu le jour à Hôpital du 20 Août de Casablanca et à l’Hôpital d’Enfants de Rabat. Ces deux unités ont initié deux associations, Agir et l’Avenir, pour les accompagner matériellement et moralement. Puis ces deux unités et ces deux associations ont grandi et ont été suivies de plusieurs autres unités et associations. Par ailleurs, de nombreux événements favorables ont permis le développement de l’oncologie pédiatrique au Maroc : - L’Institut National d’Oncologie a ouvert ses portes à Rabat en 1987, facilitant la Radiothérapie aux enfants de l’unité de Rabat qui en avaient besoin. - La Maison de l’Avenir, fonctionnelle depuis 1995, a permis de diminuer les abandons de traitement et d’améliorer les conditions de vie pour les familles qui habitent loin de Rabat. - La constitution de la Société Marocaine d’Oncologie Pédiatrique en 1996 qui regroupe les médecins travaillant exclusivement ou partiellement avec les enfants atteints de cancer, permet une coordination des activités nationales et internationales. - Le partenariat avec l’Hôpital St Jude de Memphis, Tennessee, en 2000, a été une formidable opportunité de formation des médecins et des infirmiers. - La constitution du Groupe Franco-Africain d’Oncologie Pédiatrique (GFAOP) s’est faite en 2000, sous la présidence de Feu le Pr. Jean Lemerle, avec pour objectif de soigner les enfants africains en Afrique et par des médecins africains. - La Fondation Lalla Salma, en novembre 2005, a donné une formidable bouffée d’oxygène à tous les intervenants dans le cancer, qu’ils soient soignants, patients ou familles. - L’Union Internationale Contre le Cancer (UICC) en 2006 a lancé un appel à projets et deux projets marocains ont été acceptés, la douleur et le diagnostic précoce, permettant ainsi d’améliorer les taux de guérisons dans de bonnes conditions. - Le Centre d’Hémato-oncologie Pédiatrique (CHOP) a ouvert ses portes à Rabat en 2010, avec pour objectifs d’améliorer l’accueil, les traitements, la recherche, la formation et la qualité de vie des malades, des parents et des soignants. - En 2017, l’objectif formation, s’est consolidé par le Diplôme Universitaire de Cancérologie pédiatrique, ouvert aux pédiatres maghrébins et subsahariens, avec le soutien du GFAOP. Actuellement en 2023, il existe six unités dans le Royaume, deux à Casablanca, une à Rabat, Fès, Marrakech et Oujda. Toutes traitent les malades selon des protocoles nationaux ou internationaux. Chaque unité est soutenue par une ou plusieurs associations, dont certaines ont une possibilité d’hébergement des familles. Sur les 1200 enfants et adolescents atteins de cancer chaque année, environ 900 arrivent dans les six unités marocaines et 60% parmi eux guérissent. Cette bonne évolution de l’Oncologie pédiatrique marocaine a permis la sélection du Maroc par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme site pilote pour l’Initiative Globale pour le Cancer de l’Enfant, dont l’objectif est d’obtenir au moins 60% de survie en 2030 pour tous les enfants atteints de cancer. Le livre « Pour la vie des enfants atteints de cancer » que j’ai publié en mars 2022 est une autobiographie divisée en deux parties. La première raconte mon histoire personnelle : enfance à Fès, études de médecine dans les années 1960 et 70 à Rabat, ainsi que mon combat personnel contre une maladie grave. La deuxième partie raconte mon engagement contre les cancers de l’enfant dès le début des années 1980 : motivations, structuration de l’unité de soins à l’Hôpital d’Enfants de Rabat, fondation de l’Association l’Avenir et construction de la Maison de l’Avenir, partenariats et développement de l’oncologie pédiatrique au Maroc, et ce, à travers le combat d'enfants, de parents et de soignants contre la maladie.
Fouzia Msefer Alaoui

Fouzia Msefer Alaoui

Fouzia Msefer Alaoui, Professeur de pédiatrie à la Faculté de Medecine et de Pharmacie de Rabat, Responsable de la première unité d'oncologie à l'Hôpital d'Enfants de Rabat Fondatrice de l'association des parents et amis des enfants atteints de cancer, l'Avenir et de la Société Marocaine d'oncologie pédiatrique


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Entre deux vérités 23

La vérité est une, mais les érudits l’appellent par différents noms. Dans mes textes précédents, j’évoque souvent cette idée, celle de l’unité avec Dieu. C’est une pensée qu’on retrouve dans le soufisme, à travers des figures comme Ibn Arabi. Mais cette idée d’unité n’est pas née avec l’islam. Des philosophes comme Plotin, bien avant, parlaient déjà d’un principe unique. Chez lui, "L’Un", c’est l’origine de tout ce qui existe. Tout en découle. Tout y retourne. Rien n’existe sans lui. En simplifiant beaucoup, ce concept signifie que Dieu, la création, les humains, la terre, les anges, l’enfer, le paradis… tout cela ne serait qu’une seule et même réalité, une manifestation de Dieu, une expression de Lui. Je l’ai parfois formulé ainsi : "En se connaissant soi-même, on rencontre Dieu." Ibn Arabi était parfois appelé "le plus grand maître" (Cheikh al-Akbar). D’autres, plus critiques, l’ont surnommé "Cheikh al-Akfar" le maître des impies". C’est dire à quel point sa pensée divise. Il affirme que tout est en Dieu. Qu’il n’y a rien en dehors de Lui. Il parle d’une réalité unique, divine, qui se manifeste sous mille formes, les nôtres, celles du monde, du visible comme de l’invisible. Il écrit en poésie : Mon coeur est devenu capable d'accueillir toute forme. Il est le pâturage pour gazelle et abbaye pour moine ! Il est un temple pour idoles et la Kaaba pour qui en fait le tour. Il est les tables de la Thora et aussi les feuilles du Coran ! La religion que je professe est celle de l'Amour. L'Amour est ma religion et ma foi. Mais certains prennent ces paroles au pied de la lettre, comme s’il disait "l’homme est Dieu". Et forcément, ça choque. Pourtant, je pense qu’il ne s’agit pas d’une confusion mais d’une tentative de dire que tout ce qui existe est enraciné en Dieu. Que notre perception, voilée, morcelée, nous donne l’illusion d’être séparés. Il dit d'ailleurs: "Dieu est le miroir dans lequel l’homme se contemple, et l’homme est le miroir dans lequel Dieu contemple Sa création." Ce n’est pas de l’arrogance. Ce n’est pas non plus de l’égarement. C’est une manière poétique, mystique, de parler d’un lien invisible, subtil, entre ce que nous croyons être et ce que Dieu reflète à travers nous. Mais en parallèle de cette vision, j’ai aussi grandi avec l’idée de la séparation. On m’a transmis une vision plus classique, plus sobre. Une vision dualiste. Dieu est au-dessus de tout. Il est distinct de sa création. Il n’a pas de forme, pas de besoin. Il est le Créateur, nous sommes les créatures. Il n’y a pas de confusion possible. Le Coran nous dit : "Il n’y a rien qui lui ressemble." (42:11) Dans cette vision, Dieu reste unique, parfait, au-delà de tout. Et l’humain, même dans sa beauté (ou pas), reste limité, séparé, humble face à Lui. Et moi, je me tiens entre ces deux mondes. Je les ressens tous les deux. L’un me parle de proximité, de mystère, d’amour. L’autre me parle de majesté, de transcendance, de distance. Ils semblent opposés, mais en moi, ils coexistent. Et pour ne pas me simplifier la tâche, il y a le Coran. Ce livre sacré que je prends moi pour la parole de Dieu. Mais aussi pour une parole dense, profonde, mystérieuse. Une parole qu’on ne peut jamais enfermer dans une seule explication. Quelqu’un a dit un jour que le Coran est comme un océan, plus on plonge, plus on découvre des couches, des sens, des profondeurs qu’on ne soupçonnait pas. Il se lit mille fois. Il se comprend mille fois autrement. Tout dépend de l’état du cœur de celui qui lit. Je crois que c’est voulu. Si la vérité était évidente à la première lecture, la quête serait terminée avant même d’avoir commencé. Au final, j’ai remarqué quelque chose, je crois en tout, et en même temps, je ne crois en rien. Je crois à plusieurs réalités, mais je ne sais pas si l’une d’elles est la vraie. Mon cerveau est en lui-même un paradoxe. Ce n’est pas un mal, ni une faiblesse. C’est juste une grande ouverture d’esprit, une façon d’accueillir le mystère sans vouloir tout enfermer dans une seule vérité. Ce qui compte au fond, c’est que je crois en Dieu. Que je marche avec Dieu, même si je ne comprends pas tout. C’est cette foi, cette relation intime, qui guide mes pas. Et croire en Dieu, c’est accepter qu’il y ait du mystère Alors je cherche. Avec l’intellect, parce que j’aime comprendre. Mais surtout avec le cœur, parce que lui seul sait parfois ce que la tête ne peut pas expliquer. Et quand je parle de cœur, j’évoque en ce sens le cœur de l’âme. Il ne s'agit pas là d’un organe physique, mais du centre de la perception mystique et de l’intuition profonde. Alors que les créatures fassent partie de Dieu, ou que Dieu soit totalement séparé de sa créature, Dieu reste Dieu. Plus grand que les mots. Plus vaste que les pensées. Plus profond que les écoles de pensée. Parfois, l’essentiel n’est pas de choisir un camp. Mais de rester humble. De marcher entre les mondes. De chercher la lumière, sans jamais prétendre l’avoir saisie. Et au fond, la lumière est partout. Même quand on ne comprend pas.