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La cortisone fait de la résistance et reste toujours incontournable 1145

Hormone naturelle sécrétée par les surrénales, une glande située au-dessus des reins, le cortisol, la mise au point dans les années 1950 de son équivalent de synthèse, la cortisone a révolutionné le traitement de nombreuses pathologies en raison de son action anti-inflammatoire très efficace. Elle a par contre des effets secondaires nocifs et sous-estimés, faute d’informations complètes, qui demandent de la prudence dans son emploi et un accompagnement non médicamenteux. Il n’en reste pas moins qu’elle reste incontournable depuis près de 80 ans comme elle l’a prouvée pendant l’épidémie de covid-19 en étant la première molécule à prouver son efficacité dans les cas graves. UN MEDICAMENT D'UNE EFFICACITE REDOUTABLE SUR L'INFLAMMATION La cortisone combat l’inflammation (dénommée pour cette raison anti-inflammatoire stéroïdien) et a une action immunosuppressive (= supprime les réactions immunitaires exagérées de l’organisme). Les molécules les plus utilisées sont la prednisone et la méthylprednisolone. Son action empêche l’organisme de produire les substances qui causent les symptômes de l’inflammation (augmentation de la température, douleurs, rougeur, gonflement…). Pour la femme enceinte lorsque l’on vise un effet sur le fœtus, on opte pour des corticoïdes spécifiques (dexaméthasone ou bétaméthasone), pour leur bon passage de la barrière placentaire. Les corticoïdes sont bien tolérés lors d’une prescription courte ou s’ils sont appliqués localement. Ils ne sont prescrits sur une longue durée que dans de rares cas ou encore quand l’inflammation est chronique, en particulier dans les maladies auto-immunes. Rappelons enfin qu'une étude coordonnée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et publiée en septembre 2021 a indiqué clairement pour la première fois qu’un traitement par corticoïdes diminuait de 21% le risque de mortalité des formes sévères de la Covid-19. La cortisone a été généralisée ensuite pour les patients atteints de la Covid-19 sévère et critique dans tous les pays ! LES EFFETS DELETERES DE LA CORTISONE Un médicament n’est jamais anodin et est donné en fonction d’une balance bénéfice / effets nocifs nettement en faveur du premier terme. Quand les corticoïdes sont suivis pendant de nombreux mois ou de nombreuses années, leurs effets délétères sont parfois graves : - La cortisone déplace la graisse de l’extrémité inférieure du corps à la partie supérieure : le visage devient bouffi. Ce processus donne parfois un aspect boursouflé appelé cushingoïde, car il rappelle celui donné par la maladie de Cushing (hypersécrétion de cortisol par les glandes surrénales). - Au niveau des reins, la cortisone retient le sodium et élimine le potassium provoquant une surcharge hydrosodée (en eau et sodium) et donc un risque d’hypertension. Le régime sans sel prescrit avec la corticothérapie est une mesure thérapeutique essentielle, mais souvent insuffisante. - Au niveau gastrique, la tolérance de la cortisone est meilleure que celle des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Des lésions ulcéreuses gastriques surviennent cependant chez des personnes à risque. - Au niveau osseux, les corticoïdes accélèrent la perte osseuse et diminuent les capacités de formation osseuse. L’ostéoporose cortisonique est la plus fréquente des complications des traitements au long cours. Le risque de fracture est plus élevé dans cette ostéoporose que dans l’ostéoporose due à la ménopause, et ce pour une même valeur de densité osseuse. Pour limiter ce phénomène, du calcium et de la vitamine D3 sont généralement prescrits. Dans des cas graves, des médicaments y sont ajoutés. - Au niveau des yeux, la cortisone est susceptible d’entrainer une cataracte, et même une altération de la rétine - La cortisone peut induire un diabète ou au minimum une intolérance au glucose : l’organisme réagit moins aux effets de l’insuline (le régulateur de notre quantité de sucre) et doit redoubler d’efforts pour contrôler les taux de glucose sanguin. Les personnes intolérantes au glucose affichent des taux de glucose plus élevés que la normale mais pas suffisamment élevés pour les considérer comme diabétiques. - Des insomnies et même des troubles psychiatriques surviennent aussi lors d’une corticothérapie. Enfin, étant donné que les corticoïdes réduisent l’activité protectrice du système immunitaire, le risque d’infection est accru. Parfois, un traitement antibiotique doit être prescrit, Et l’on suggère aux patients de se faire vacciner, notamment contre la grippe saisonnière. L’arrêt des corticoïdes doit impérativement être progressif. La prise de corticoïdes de synthèse utilisés lors des traitements bloque en effet la sécrétion des corticoïdes naturels produits par les glandes surrénales. Il faut donc s’assurer que ces glandes ont bien pris le relais avant l’arrêt définitif des corticoïdes de synthèse. Dans des pays comme le Maroc, ces recommandations sont encore loin d’être suivis ou connus du fait même de pratiques massives d’automédications. Au total, si la cortisone peut s’imposer lors des poussées aiguës d’une maladie, elle doit autant que possible être diminuée ou arrêtée en dehors des périodes de crise. EDUCATION THERAPEUTIQUE Tout traitement ne doit pas se limiter à prescrire des molécules : les modifications du mode de vie peuvent permettre dans une certaine mesure de réduire les phénomènes inflammatoires. Cela passe en particulier par : - L’exercice physique : il diminue les effets secondaires des corticoïdes et accélère la réparation des muscles. - La révision des habitudes alimentaires : les corticoïdes augmentent l'appétit et, sachant que les malades vont manger plus en se dépensant physiquement souvent moins, la prise de poids est fréquente. Le régime méditerranéen semblerait en particulier avoir des atouts pour diminuer l’inflammation en gardant son poids. Rappelons qu’il se caractérise par une consommation prédominante d’huile d’olive, de légumes, de céréales, de fruits ainsi que de noix, une consommation modérée de volaille et de poisson et une consommation faible de viandes rouges, de produits laitiers et de sucre. - La Phytothérapie : Selon la collaboration Cochrane (une organisation internationale de chercheurs indépendants), certaines huiles (d’onagre, de bourrache ou de pépins de cassis) auraient une action anti-inflammatoire réduisant la douleur. BIBLIOGRAPHIE - Corticothérapie, les médecins répondent à vos questions. https://www.chumontpellier.fr/fileadmin/medias/Publications/Corticotherapie.pdf - The WHO Rapid Evidence Appraisal for COVID-19 Therapies (REACT) Working Group. Association Between Administration of Systemic Corticosteroids and Mortality Among Critically Ill Patients With COVID-19: A Meta-analysis. JAMA. Published online September 02, 2020. doi:10.1001/jama.2020.17023 Dr MOUSSAYER KHADIJA الدكتورة خديجة موسيار Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie, Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
Dr Moussayer khadija

Dr Moussayer khadija

Dr MOUSSAYER KHADIJA الدكتورة خديجة موسيار Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie en libéral à Casablanca. Présidente de l’Alliance Maladies Rares Maroc (AMRM) et de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS), Vice-présidente du Groupe de l’Auto-Immunité Marocain (GEAIM)


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Maroc pluriel : de Najat à Toto, la parole libérée, une même soif de dire... 42

L’édition récente de Mawazine n’est pas passée inaperçue et fera date. Il y a eu, bien évidemment, ces dizaines de milliers de citoyens venus du Maroc entier et d'ailleurs profiter des différentes scènes, avec le record de Boutchart qui les a tout simplement fait chanter, ainsi que cette grande diva chantant en playback, provoquant la colère de celles et ceux ayant crié à l’arnaque. Mais il y a eu surtout El Grande Toto. Cette grande star de la musique urbaine marocaine et mondiale que beaucoup n’aiment pas, ou pas du tout. El Grande Toto a fait le plein en spectateurs, mais aussi en nombre d’articles et de réactions, pas du tout favorables, à quelques exceptions près. La majorité de ces réactions étaient plutôt critiques, certaines presque assassines. Je le dis tout de suite : je ne suis pas amateur d’El Grande Toto ni de son type de musique. À mon âge, ce serait une insulte à mes goûts musicaux, moi qui ne peux être bercé dans ma version arabe que par Doukkali, Abdelhalim, Belkhayat, Samih, Farid, Oum Kaltoum et Abdelwahab ; dans ma version française par Brel, Reggiani, Piaf, Barbara ; et dans ma version anglaise par Dylan, Clapton, BB King, James Brown, et j’en passe. Cela dit, je ne peux pas non plus me permettre de juger ceux qui n’aiment pas, ni celles et ceux qui aiment le genre musical d’El Grande Toto, c’est-à-dire toute cette jeunesse qui se retrouve dans ce style, qui vibre à ses intonations et jubile en absorbant ses paroles. C’est leur temps et leur musique. Cela me rappelle qu’il y a une trentaine d’années, on ne pouvait écouter Najat Aatabou que par accident, en longeant l’échoppe d’un vendeur de cassettes dans un souk ou en cachette dans sa voiture. Sa musique paraissait agaçante et ses paroles vulgaires. Elle mit longtemps avant d’être finalement admise, puis plus tard adulée. Ce qui m’amène à ce sujet, c’est qu’il y a dans les trajectoires artistiques de Najat Aatabou et d’El Grande Toto quelque chose qui ressemble à un miroir brisé : les éclats s’opposent, se dispersent, et pourtant, à y regarder de près, ils reflètent une même réalité. Celle d’un Maroc multiple, insoumis, tiraillé entre ses traditions et ses désirs de modernité. Un Maroc qui pense être ce qu'il n'est que peu ou pas vraiment. Ce qu'il n'a jamais été sinon dans un imaginaire faussement construit. Najat Aatabou, c’est la voix éraillée des Zemours, celle qui a surgi à Khémisset, portée par les vents du Moyen Atlas et les murmures d’une société encore corsetée par l’honneur, le regard des autres et l’intransigeance des convenances. Dans les années 80, alors que le Royaume balbutiait ses premiers pas vers l’ouverture sociale, Najat osa chanter ce que tant de femmes murmurent en silence : les amours contrariés, la trahison, l’émancipation, la fierté blessée, le désir, et tout cela dans un langage plutôt cru. Son « Hadi Kedba Bayna » : « C’est un mensonge évident » résonne comme un cri, doux mais ferme, dans les mariages populaires, les taxis collectifs et les salons feutrés de la diaspora marocaine en Europe. Avec elle, le chaâbi, musique du peuple par excellence, devient un vecteur d’affirmation. Najat ne s’excuse pas d’être femme, artiste, amazighe, rebelle. Elle dérange, elle choque parfois, mais elle s’impose. Sa musique est même reprise dans une publicité mondiale. Quarante ans plus tard, c’est un autre Marocain qui fait trembler les murs des certitudes : El Grande Toto, enfant des faubourgs casablancais, cheveux teintés, visage et bras tatoués et verbe acéré, s’impose comme le chantre d’une jeunesse marocaine décomplexée. Avec lui, les mots claquent en darija, s’entrelacent au français et à l’anglais, flirtent sans retenue avec les interdits : drogue, argent, sexe, et bousculent les hypocrisies sociales. Là où Najat Aatabou dénonçait à demi-mot, Toto affiche, revendique, provoque. Certes, les formes divergent : Najat puise dans le répertoire ancestral, ses mélodies rappellent les noces villageoises et les youyous d’antan. Toto, lui, s’abreuve aux sources du rap mondial, de la trap et des réseaux sociaux, où les punchlines valent plus que les silences. Mais derrière ces différences, une même sève irrigue leurs œuvres : la soif de dire, coûte que coûte, sans se sentir coupable de quoi que ce soit. Najat Aatabou a payé le prix fort pour avoir brisé les tabous. On se souvient encore des critiques acerbes, des regards lourds de jugement, des pères de familles outrés. Mais le temps lui a donné raison : elle est aujourd’hui respectée, adulée même, perçue comme l’une des grandes voix du Maroc populaire. El Grande Toto, lui, est encore en pleine tempête. Il lui faudra beaucoup de temps avant d’être enfin toléré et admis. Polémiques à répétition, convocations judiciaires, accusations d’indécence… Pourtant, son succès ne faiblit pas. Les chiffres parlent : des millions d’écoutes sur les plateformes, une influence internationale grandissante, une jeunesse marocaine qui se reconnaît dans ses colères et ses rêves. Ils chantent leur réalité et ils se retrouvent en lui, qu’on le veuille ou pas. Finalement, des années 80 à aujourd’hui, comme à travers les siècles, le Maroc n’a cessé de se raconter à travers ses artistes les plus dérangeants. Il y eut d'autres auparavant : Zahra Elfassia, Fatna Bent El Houcine, et tant de Chikhates connues ou pas, des voix féminines des frustrations et des espoirs d’une génération muselée. El Grande Toto, le porte-voix insolent d’une jeunesse urbaine en quête de reconnaissance, d’espace, de liberté, incarne aujourd’hui cet esprit. Il ne faut pas oublier qu’il y eut d'autres avant lui : Faddoul, Nass El Ghiwane, Ach Kayne, Rebel Moon et Lbig, entre autres. Il y avait aussi une tradition de rébellion et de langage osé dans le malhoun avec des qassidas qu'on n'oserait plus chanter de nos jours, même dans les cercles les plus intimistes. Entre eux tous, des décennies et des univers, mais aussi ce fil invisible qui relie ceux qui osent dire tout haut ce que d’autres taisent encore. Peut-être est-ce cela, être artiste au Maroc : bousculer l’ordre établi, tendre un miroir à la société, et accepter d’en payer le prix, même s'il est trop fort...