Pensez le Futur.

Les Soupirs d'Azemmour 1949

Allant vers Oualidia, histoire de profiter de sa belle lagune, de ses huitres et poissons, ma fille, mon épouse et moi-même décidâmes de faire une petite halte à Azemmour. Je m’étais promis d’y amener ma fille à la première occasion qui se présente. Nous sommes ici à une encablure de Casablanca, à une poignée de kilomètres d’El-Jadida et non loin de Jorf Lasfar, une fierté de l’industrialisation du Maroc moderne. J’ai personnellement un petit quelque chose pour cette ville. Rares sont les villes aussi envoutantes. Je ne puis m’expliquer pourquoi. Très vite vous y êtes tantôt berbère en Jellaba courte, tchamir et babouches à la tête arrondie ou pointue ; tantôt phénicien drapé de blanc un peu comme s’habillaient les grecs en leur temps de gloire ; tantôt portant la toge d’un citoyen romain fier ou le turban bleu d’un Berghouata rugueux. Vous y imaginez des portugais chantant leur triomphe à la prise de la ville. Vous y entendez, le bruit de vos pas sur un pavé vieilli, évoquant celui de l’armée Saadienne reprenant possession des remparts. Le bruit et vociférations des soldats y résonnent encore et toujours ; mais en silence. Au tournant d’une ruelle de la cité antique, vous entendez la voix lointaine et confuse de Sidi Abderahman El Mejdoub, criant sa douleur devant le mal, questionnant le monde et l’univers. Au tourant de l’autre vous interpelle la voix chuchotant, à peine perceptible, de Rabbi Abraham Moul Ness et ses prières à l’aube et au crépuscule. Sidi Brahim pour les musulmans…les deux religions peinent à se donner des frontières ici… D’ailleurs c’est une sorte de miracle qui révéla aux deux communautés qu’Abraham était bien un saint…Les citoyens venaient d’installer un moulin juste en face de la grotte où il passait son temps à méditer et prier…Les bêtes qui faisaient tourner le moulin tombaient vite malades et mourraient l’une après l’autre. On comprit alors qu’Abraham ne voulait pas être dérangé dans sa méditation…depuis il est Rabbi Abraham pour les juifs, Sidi Brahim pour les musulmans, saint pour les deux. Plus loin dans la ville, ce sont des jeunes plutôt silencieux, à l’air certainement soucieux, le regard cafardeux, qui vous font face au tournant d’une ruelle. Certains de ceux qui vous croisent ont le regard étonnamment hagard, comme pour exprimer une lassitude ou un dégout ; peut-être même une colère profonde et des blessures répétées. Au coin de la rue d’en face, sur une petite place difforme c’est le son saccadé d’un métier à tisser qui vous interpelle. L’un des rares Deraz encore en activité tisse comme chaque jour des écharpes et des foulards en laine ou en soie…Les touristes aiment ça mais ne viennent pas souvent… Il ne se lasse pas. Il travaille, aime beaucoup son métier et attend des jours meilleurs ou tout au moins que la guerre au moyen orient s’arrête… Au fond de lui, il doit souhaiter que ses amis israéliens reviennent à la raison et chassent vite du pouvoir leurs dirigeants actuels ; des névrosés assoiffés de sang plus qu’autre chose. Il attend le Moussem mais ne sait pas si les marocains juifs qui reviennent annuellement pour le pèlerinage seraient encore nombreux. La maison de l’artisan est silencieuse et attend aussi… Elle attend souvent qu’un petit groupe passe par là pour enfin s’animer un petit peu, pour une heure ou deux. Les maitres artisans qui y séjournent semblent plutôt regarder filer le temps. Leurs yeux sont nostalgiques d’un passé proche sans doute idéalisé et d’un passé plus lointain chargé de richesse et de puissance à jamais révolu. Une dame d’un âge certain, sans gêne aucune, vêtue d’un pyjama qui en a vu des vertes et des pas mûres, est là devant chez elle sur un tabouret, assise. La porte de sa modeste demeure peinte en bleu est grande ouverte. La dame déborde un peu la petite dimension de son tabouret. Son regard est vide. Elle ne remarque pas nos silhouettes et semble ne pas entendre nos pas involontairement légers, comme pour ne pas déranger l’histoire ou remuer la colère des murs abandonnés, des maisons aux portes murées, celles que le temps a abattues et celles qui attendent passivement le signal de la dégringolade de pierres millénaires fatiguées et qui ne tiennent plus à rien. Derrière des portes d’antan de quelques bâtisses encore debout - et il y en encore beaucoup Dieu merci - et quelques maisons non encore fermées aux cadenas ou tombées dans l’oubli des temps et des humains, on devine des jeunes filles s’affairer à la broderie. Elles ne sont plus très nombreuses à éprouver une passion pour cet art ancestral spécifique à la ville avec ses couleurs vives et ses dragons. Que font les dragons ici sinon rappeler un passé si lointain qu’on n’en perçoit pas le fond. Par oui dire certaines disent que c’est un marchand portugais qui introduisit cet art entre les murs de la ville. Au coin d’une petite place, comme il y en beaucoup dans la cité, devant une épicerie aussi petite que peu soignée, se tiennent des jeunes oisifs. L’un d’eux ressemble forcément à Mustapha Azemmouri, celui dit Esteban le Maure ou encore Estevanico. Peut être même qu’il en porte les gênes. Sans Estevanico, jamais l’Amérique du Nord n’aurait été ce qu’elle est aujourd’hui. Quelle destinée! Partir d’une telle contrée pour aller déterminer l’histoire d’une autre de l’autre côté de l’Atlantique. En sortant par l’une des portes de la cité ancienne vous avez une seule pensée : Azemmour se cherche un présent qui ne vient pas. Elle agonise et se meurt assurément. Peut-être même qu’elle est déjà morte. Voilà quelques temps Karim Boukhari, dans un article en disait : « J’ai visité Azemmour. Un ami, originaire de la ville, m’a prévenu : attention, m’a-t-il dit, c’est une ville morte. » Pour s’en apercevoir faites une balade au pied de la muraille coté oued. Une esplanade que mon ami Zaki Semlali a aménagé avec le peu de moyens dont il dispose pour redonner vie à cette relation particulière qu’a la ville avec Oum Rebi3. Aujourd’hui le plastique y est hélas plus abondant que les poissons. Finies l'alose et les belles ombrines charnues… Certains pans de la muraille et des habitations coulent vers l’oued comme des larmes de la peine subie. La nostalgique Azemmour lorgne l’Atlantique et regarde impuissante se fracasser les vagues au loin… J’implore le tout puissant pour que ce bout de notre histoire précieuse puisse enfin bénéficier de l’attention de nos gouvernants. Ma fille, mon épouse et moi-même sommes repartis tristes, blessés au plus profond de nos âmes mais la voix sublime de Sanaa Marahati chantant quelques poèmes écrits quelque part dans la cité nous fait croire à un avenir meilleur pour Azemmour.
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Aziz Daouda

Aziz Daouda

Directeur Technique et du Développement de la Confédération Africaine d'Athlétisme. Passionné du Maroc, passionné d'Afrique. Concerné par ce qui se passe, formulant mon point de vue quand j'en ai un. Humaniste, j'essaye de l'être, humain je veux l'être. Mon histoire est intimement liée à l'athlétisme marocain et mondial. J'ai eu le privilège de participer à la gloire de mon pays .


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Ce texte, c’est ce qu’il me reste à lui dire 15

J’avais un ami. Je l’ai connu trop tôt. Ou peut-être juste à temps. J’étais jeune, bien trop jeune. L’âge où l’on croit encore que les gens sont immuables, solides et éternels. L’âge où l’on pense que ceux qu’on aime vont durer toujours. Lui, c’était un électron libre. Un curieux, un matheux, un voyageur. Un peu fou, non, beaucoup fou. Plus fou que moi. Et pourtant, j’étais déjà une tempête à moi toute seule. Il faisait partie de ces êtres rares, brûlants, qu’on ne rencontre qu’une seule fois dans une vie. Pas plus. Et peut-être que cette vie, il ne l’avait pas vraiment choisie. Mais sa folie, oui. Et cette folie là me traverse encore. Ce je-m’en-foutisme tranquille, cette excentricité douce, cette furieuse envie de ne rentrer dans aucune case, de marcher de travers quand tout le monde file droit. Comme une empreinte qu’il aurait laissée dans ma façon d’être, un éclat de lui encore vivant dans mes regards qui en disent long et dans mes sourires un peu tordus. Lui, il était entier. Il était unique. Il était impossible. Il était brut. Il était vrai. Rien ni personne ne pouvait le plier. Il brillait, dans cette lumière étrange, suspendue entre la joie et les ténèbres. En grandissant, il y a eu les nuits. Les longues nuits sans fin. À parler, à délirer, à imaginer des futurs fous. À inventer un monde nouveau, À détruire l’ancien à coups de théories bancales et de rires qui faisaient mal au ventre. On avait notre langage, nos éclats, Notre galaxie rien qu’à nous. Et puis, encore un peu plus tard On s’est lancés dans nos premières expéditions. Les premières colonnes vers la liberté. Les files d’attente devant les bars, où les portiers hésitaient parfois à nous laisser entrer, quand ils voyaient nos visages encore trop innocents, et nos yeux plus innocents encore. Mais souvent, on n’en avait rien à faire. On restait cloîtrés, lui et moi, enfermés dans le chaos de sa chambre À regarder le plafond À parler aux murs À refaire le monde. Un jour, avec cette audace qui le caractérisait, il a dit non. Non à ce que les autres attendaient de lui. Non à l’ingénierie, non à la médecine. Il a choisi d’être artiste. Pas un artiste du dimanche, mais un vrai, qui voulait faire de l’art sa vie. Même s’il créait sans vraiment créer, même s’il doutait à chaque coup de pinceau. Et puis, il m’a tendu un gros pinceau et de la peinture. Moi, je ne connaissais rien à l’art. Il m’a dit : « Peins. » Alors j’ai peint. Sur les murs de sa chambre, En grand, en large, en travers. Ses œuvres, il les appelait “abstraites”. Entre nous, il ne savait juste pas dessiner. Mais il le savait. Et c’est ça qui les rendait belles. Elles étaient vraies, injustifiables, libres. Comme lui. Il était bon photographe. Bon designer. Bon vivant. Il avait tout devant lui. Une autoroute de possibles. Et pourtant… Un jour, il m’a dit : « Je crois que je ne vais pas vivre longtemps. » Et moi, pleine de lumière, pleine d’optimisme naïf, J’ai répondu : « La vie est belle, tu sais. La vie est très belle. » Mais comment j’ai pas vu ? Comment j’ai pas compris son mal ? Son vide. Son désespoir. Quelques temps plus tard, Il est parti. Décidé. Silencieux. J’ai gardé ses messages très longtemps. Et puis j’ai décidé de les supprimer. De supprimer son contact. Mais son numéro, je le connais encore par cœur. Alors, je l’ai appelé. Même après. En espérant, au fond, Qu’un jour, il décrocherait. Qu’il me parlerait encore. Qu’il me donnerait une réponse. Mais ce qui me hante, ce n’est pas seulement son départ. C’est ce qu’il a pensé, juste avant. À qui a-t-il pensé ? À quoi a-t-il pensé ? A-t-il pensé à moi ? En bien, en mal ? Qu’est-ce que j’en sais ? A-t-il aperçu une dernière lueur, Une ultime étincelle dans ce chaos ? A-t-il douté ? Était ce de la joie ou de la haine qui l’a emporté ? J’ai des questions qui resteront éternellement sans réponse. Des questions sur cet amour flou entre nous. Cet amour étrange. Sur ce qui était vrai Et ce qui ne l’était pas. Et des fois, je me demande juste : Pourquoi il ne m’a pas appelé ? J’ai rêvé longtemps du son de sa voix. Je le voyais partout. Avant de lui pardonner. Avant de me pardonner. Avant de comprendre que je n’aurais pas pu le sauver. Que personne n’aurait pu. Qu’il est parti chercher la paix. Et que parfois, la paix est ailleurs. Et puis, même si aujourd’hui je ne crois qu’à moitié en la réincarnation, j’espère qu’un jour, quelque part, dans une autre vie, il croisera ce texte. Qu’il le lira, qu’il s’y reconnaîtra, ou que ce personnage merveilleux lui parlera, le touchera. Parce que j’ai envie de lui dire que, même dans la nuit la plus noire, même quand l’ombre s’installe au creux de l’âme, même quand les ténèbres semblent prendre le dessus, il faut continuer. Il faut se battre. Il faut survivre. Ou vivre. Mais surtout, il ne faut jamais oublier : La nuit a beau être longue… le soleil finit toujours par se lever.

Chaleurs extrêmes : l'ONCF et ses passagers face au défi de la climatisation... 58

Le Maroc vient de traverser une vague de chaleur exceptionnelle, à l’image de l’ensemble des pays de la région, y compris ceux situés plus au nord. Alors que les températures dépassaient les 45°C dans plusieurs régions, les usagers des trains ont exprimé une colère vive face aux défaillances des systèmes de climatisation à bord de nombreuses rames de l’Office National des Chemins de Fer (ONCF), notamment sur les lignes conventionnelles reliant les principales villes du Royaume. Sur les réseaux sociaux, les témoignages d’exaspération se sont multipliés, décrivant des wagons devenus de véritables « fours ambulants ». Pour beaucoup, certains trajets, en particulier la ligne très fréquentée entre Casablanca et Rabat, sont devenus quasi insupportables. Nombreux sont les voyageurs ulcérés, allant jusqu’à qualifier cette situation de manque de respect manifeste envers les usagers. Cette défaillance concerne principalement les trains classiques, souvent âgés de plus de vingt ans, dont les systèmes de climatisation sont obsolètes et fréquemment hors service. En revanche, la ligne à grande vitesse Al Boraq, qui relie Casablanca à Tanger, est mieux équipée pour affronter ces conditions extrêmes, offrant un contraste saisissant entre modernité et vétusté. La Direction de la Météorologie Nationale a enregistré des pics historiques : 47,3°C à Marrakech, 46°C à Fès et 45,5°C à Kénitra. Dans ces conditions dans un wagon sans climatisation, la température dépasse largement le seuil du supportable, mettant en danger non seulement le confort, mais aussi la santé des passagers, notamment les plus vulnérables comme les personnes âgées et les enfants. Dans ce contexte, ce sont souvent les contrôleurs, impuissants, qui subissent la colère et les débordements verbaux des voyageurs frustrés. Il est important de rappeler que les normes internationales du transport ferroviaire exigent des systèmes de climatisation fonctionnels, surtout en période de fortes chaleurs. Dans plusieurs pays, l’absence prolongée de climatisation peut même entraîner des compensations financières pour les voyageurs. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas au Maroc, où aucun texte ne prévoit de dédommagement, ce qui constitue une aberration : le citoyen ne reçoit pas un service à la hauteur de sa dépense, alors que la loi devrait le protéger, surtout en situation de monopole. Et c'est le cas. Face à la profusion de critiques, l’ONCF reconnaît les difficultés techniques liées aux rames anciennes et annonce des opérations de maintenance. Toutefois, ces explications peinent à convaincre les usagers, qui dénoncent un manque d’investissement structurel dans le renouvellement du parc ferroviaire, malgré une augmentation régulière des tarifs. La question se pose également de savoir si le problème réside uniquement dans la vétusté des équipements, ou s’il s’agit aussi d’un déficit de compétence des équipes de maintenance, voire d’une forme de négligence. Ailleurs, des trains parfois plus anciens assurent encore un bon service en matière de ventilation et de climatisation. Il n’est plus acceptable en 2025 de voyager sans climatisation dans un pays où les canicules sont devenues la norme. Un plan d’urgence doit être mis en place, d’autant plus que l’été ne fait que commencer, avec les vacances et les grands déplacements à venir. L’ONCF communique régulièrement sur ses futures acquisitions de trains modernes, mais y en aura-t-il en circulation dès cet été ? Quoi qu’il en soit, le matériel roulant actuel doit être mieux entretenu pour améliorer le confort des passagers. C’est un droit élémentaire. Au-delà de l’inconfort évident, cette situation soulève une problématique plus profonde liée au respect des usagers et à la qualité du service public. Dans un contexte où le gouvernement encourage le recours aux transports collectifs pour réduire l’empreinte carbone, le train devrait constituer une alternative fiable et attrayante. Or, les défaillances récurrentes entachent la crédibilité de l’ONCF, creusant un fossé entre la ligne Al Boraq, vitrine technologique du Maroc, et les lignes classiques, perçues comme vétustes et inconfortables malgré les efforts visibles en termes de confort des sièges et d’organisation dans les gares, notamment les plus récentes. Face à cette crise, il est impératif que l’ONCF revoie sa stratégie. Si d’importants investissements ont été réalisés pour la grande vitesse, il est urgent d’accorder une attention équivalente aux lignes classiques qui desservent quotidiennement des milliers de Marocains. En période de canicule, l’absence de climatisation dans les trains ne relève pas d’une simple négligence, mais constitue un enjeu crucial de santé publique et de dignité pour les voyageurs. Un plan d’action clair, incluant un calendrier précis pour la rénovation des rames, une meilleure maintenance des systèmes existants, ainsi qu’une révision des droits des passagers en cas de défaillance, doit être adopté sans délai et rendu public. Chacun sait que l’ONCF ambitionne de métamorphoser ses services d’ici 2030, mais d’ici là, des millions de Marocains emprunteront le train et ont droit à la dignité et au respect.