Pensez le Futur.

Les marocains ont bien une langue historique. 1594

En conclusion du panel ‘Which langue binatna’ consacré à la langue du futur du Maroc, lors de la 7ème édition Des Impériales, mercredi 14 février 2024, j’ai lancé un pavé dans la marre en disant que j’étais franchement pour l’officialisation et la constitutionalisation de la langue marocaine, dite Darija. Depuis le débat est ravivé et les avis continuent de diverger notamment concernant le recours à la langue maternelle marocaine dans les premières années de l'enseignement, la structuration mentale de l'enfant étant quasiment complétée dans les premières six années de la vie. Faux débat, disent certains. Dans les faits, la quasi-totalité des enseignants recourent déjà à la Darija pour expliquer le contenu des leçons spécialement dans les matières scientifiques. Tant mieux, cela permet aux élèves de comprendre tant soit peu. Ce qui laisse perplexe, par contre, est cette logique d´opposition que certains s'évertuent à imposer entre l'arabe et la Darija. Les deux langues se complètent parfaitement d'ailleurs. L'arabe est une composante et une acquisition fondamentale de la culture mais elle n'est la langue maternelle des marocains. L'avantage à apprendre dans la langue maternelle pendant les premières années de scolarité est justement de permettre un transfert vers les autres langues sans fracture ni cassure, assurant une structuration mentale normale. En fait, scientifiquement, ce qui est requis est un continuum linguistique, dans la complémentarité entre la langue maternelle et les autres langues, l'arabe en tête. Toutes les instances internationales le préconisent et le recommandent, forts en cela par les conclusions de nombreuses recherches scientifiques afférentes. L'enfant qui apprend dans sa langue maternelle n'est pas choqué et se développe psychologiquement normalement dans la continuité de son bagage génétique et sociale. Logiquement, comme cela s'est avéré être le cas dans les pays qui nous ont devancé, la démarche a pour effet salutaire l'intégration assurée du savoir, des valeurs sociales et des valeurs civiques. L'école étant ici une composante de la vie, parfaitement intégrée à son environnement. Procéder comme nous le faisons jusqu'à maintenant est justement à l'opposé de cette logique. Notre façon de faire favorise le dédoublement de la personnalité pour ne pas dire plus. Un enfant dès sa scolarisation va adopter un comportement et une langue pour l'école, un comportement et un langage dans sa famille et plus tard un autre comportement et une autre langue pour la rue et la vie au quotidien. Cela favorise de nombreuses anomalies mentales et est la principale cause du décrochage scolaire qui connait au Maroc des chiffres plus qu'inquiétants. L'enfant n'ayant pas intégré convenablement l'outil qu'est la langue que l’école lui impose se confine et échec après échec, difficulté après difficulté, il est tout simplement éjecté ou s'éjecte volontairement du système d'apprentissage. Plus tard, le jeune n'ayant pas réussi sa scolarité va se retrouver être un sous homme. Quoi qu'il acquière comme savoir professionnel, du moment qu'il n'est pas capable de l'exprimer en arabe classique ou en français, il est considéré illettré, analphabète et limite ignorant. Le citoyen qu'il va devenir est exclu quasiment de tout. Il est exclu du droit de suivre l’activité officielle de son pays ; l'information ne lui est servie que dans les deux langues officielles, sinon en amazigh et espagnol... Certaines radios privées ont heureusement compris et sont en train de réparer l’injustice. Petit à petit, ce citoyen est déconnecté. Il décroche de la vie culturelle, ne va plus lire, ne va plus écrire et très vite retombera dans l'analphabétisme primaire. Cet état des choses crée un divorce entre ces citoyens dont le nombre dépasse le tiers de la population et la chose publique par exemple. Ils ne vont plus pouvoir, ni vouloir participer à la vie sociale et encore moins à celle politique. Ce rejet est normal car ces citoyens-là, ne se sentent plus concernés, les langages utilisés leur sont étrangères. Dans la logique des choses, les plus aigris vont aller jusqu'à développer un rejet puis une haine de la chose publique. L'enfant commence par rejeter et haïr son école et transposera cet état d'âme sur tout son environnement par la suite. Les violences qui se développent dans notre société peuvent trouver ici une vraie explication. Voilà en résumé la problématique du déni de la langue maternelle. Ce n'est pas une simple affaire de technique ou de linguistique mais plutôt une affaire existentielle pour une société. C'est lié de manière intime au développement humain et partant au développement tout court. Voilà qui me fait dire ici encore une fois : Il faut absolument officialiser la langue des marocains et l’inscrire dans la constitution, une façon incontournable de redonner de la dignité à tous les marginaux d’aujourd’hui. On a besoin d’eux aussi pour développer le pays. L'idéologie et les postures politiques n'ont pas leur place ici. La Darija est une composante fondamentale de l'identité des marocains et sans identité reconnue, il n'y a ni dignité, ni appartenance et surement pas de développement social. La Darija est la langue historique des marocains elle est la résultante d'un cumul historique depuis des siècles...Elle leur permet de se comprendre avec leurs frères de l'Est quasiment jusqu'à la frontière égyptienne et avec leurs frères du Sud jusqu'à la frontière du Sénégal...
ktbdarija.com
Aziz Daouda

Aziz Daouda

Directeur Technique et du Développement de la Confédération Africaine d'Athlétisme. Passionné du Maroc, passionné d'Afrique. Concerné par ce qui se passe, formulant mon point de vue quand j'en ai un. Humaniste, j'essaye de l'être, humain je veux l'être. Mon histoire est intimement liée à l'athlétisme marocain et mondial. J'ai eu le privilège de participer à la gloire de mon pays .


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Entre deux vérités 27

La vérité est une, mais les érudits l’appellent par différents noms. Dans mes textes précédents, j’évoque souvent cette idée, celle de l’unité avec Dieu. C’est une pensée qu’on retrouve dans le soufisme, à travers des figures comme Ibn Arabi. Mais cette idée d’unité n’est pas née avec l’islam. Des philosophes comme Plotin, bien avant, parlaient déjà d’un principe unique. Chez lui, "L’Un", c’est l’origine de tout ce qui existe. Tout en découle. Tout y retourne. Rien n’existe sans lui. En simplifiant beaucoup, ce concept signifie que Dieu, la création, les humains, la terre, les anges, l’enfer, le paradis… tout cela ne serait qu’une seule et même réalité, une manifestation de Dieu, une expression de Lui. Je l’ai parfois formulé ainsi : "En se connaissant soi-même, on rencontre Dieu." Ibn Arabi était parfois appelé "le plus grand maître" (Cheikh al-Akbar). D’autres, plus critiques, l’ont surnommé "Cheikh al-Akfar" le maître des impies". C’est dire à quel point sa pensée divise. Il affirme que tout est en Dieu. Qu’il n’y a rien en dehors de Lui. Il parle d’une réalité unique, divine, qui se manifeste sous mille formes, les nôtres, celles du monde, du visible comme de l’invisible. Il écrit en poésie : Mon coeur est devenu capable d'accueillir toute forme. Il est le pâturage pour gazelle et abbaye pour moine ! Il est un temple pour idoles et la Kaaba pour qui en fait le tour. Il est les tables de la Thora et aussi les feuilles du Coran ! La religion que je professe est celle de l'Amour. L'Amour est ma religion et ma foi. Mais certains prennent ces paroles au pied de la lettre, comme s’il disait "l’homme est Dieu". Et forcément, ça choque. Pourtant, je pense qu’il ne s’agit pas d’une confusion mais d’une tentative de dire que tout ce qui existe est enraciné en Dieu. Que notre perception, voilée, morcelée, nous donne l’illusion d’être séparés. Il dit d'ailleurs: "Dieu est le miroir dans lequel l’homme se contemple, et l’homme est le miroir dans lequel Dieu contemple Sa création." Ce n’est pas de l’arrogance. Ce n’est pas non plus de l’égarement. C’est une manière poétique, mystique, de parler d’un lien invisible, subtil, entre ce que nous croyons être et ce que Dieu reflète à travers nous. Mais en parallèle de cette vision, j’ai aussi grandi avec l’idée de la séparation. On m’a transmis une vision plus classique, plus sobre. Une vision dualiste. Dieu est au-dessus de tout. Il est distinct de sa création. Il n’a pas de forme, pas de besoin. Il est le Créateur, nous sommes les créatures. Il n’y a pas de confusion possible. Le Coran nous dit : "Il n’y a rien qui lui ressemble." (42:11) Dans cette vision, Dieu reste unique, parfait, au-delà de tout. Et l’humain, même dans sa beauté (ou pas), reste limité, séparé, humble face à Lui. Et moi, je me tiens entre ces deux mondes. Je les ressens tous les deux. L’un me parle de proximité, de mystère, d’amour. L’autre me parle de majesté, de transcendance, de distance. Ils semblent opposés, mais en moi, ils coexistent. Et pour ne pas me simplifier la tâche, il y a le Coran. Ce livre sacré que je prends moi pour la parole de Dieu. Mais aussi pour une parole dense, profonde, mystérieuse. Une parole qu’on ne peut jamais enfermer dans une seule explication. Quelqu’un a dit un jour que le Coran est comme un océan, plus on plonge, plus on découvre des couches, des sens, des profondeurs qu’on ne soupçonnait pas. Il se lit mille fois. Il se comprend mille fois autrement. Tout dépend de l’état du cœur de celui qui lit. Je crois que c’est voulu. Si la vérité était évidente à la première lecture, la quête serait terminée avant même d’avoir commencé. Au final, j’ai remarqué quelque chose, je crois en tout, et en même temps, je ne crois en rien. Je crois à plusieurs réalités, mais je ne sais pas si l’une d’elles est la vraie. Mon cerveau est en lui-même un paradoxe. Ce n’est pas un mal, ni une faiblesse. C’est juste une grande ouverture d’esprit, une façon d’accueillir le mystère sans vouloir tout enfermer dans une seule vérité. Ce qui compte au fond, c’est que je crois en Dieu. Que je marche avec Dieu, même si je ne comprends pas tout. C’est cette foi, cette relation intime, qui guide mes pas. Et croire en Dieu, c’est accepter qu’il y ait du mystère Alors je cherche. Avec l’intellect, parce que j’aime comprendre. Mais surtout avec le cœur, parce que lui seul sait parfois ce que la tête ne peut pas expliquer. Et quand je parle de cœur, j’évoque en ce sens le cœur de l’âme. Il ne s'agit pas là d’un organe physique, mais du centre de la perception mystique et de l’intuition profonde. Alors que les créatures fassent partie de Dieu, ou que Dieu soit totalement séparé de sa créature, Dieu reste Dieu. Plus grand que les mots. Plus vaste que les pensées. Plus profond que les écoles de pensée. Parfois, l’essentiel n’est pas de choisir un camp. Mais de rester humble. De marcher entre les mondes. De chercher la lumière, sans jamais prétendre l’avoir saisie. Et au fond, la lumière est partout. Même quand on ne comprend pas.