Pensez le Futur.

lettre de Charles André Julien à Mr. Bennani, Directeur du Protocole de Mohammed V 1410

Charles André Paris 1 Novembre 1960 Cher ami, Depuis hier 31 Octobre, j’ai cessé d’être officiellement doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Je puis désormais m’exprimer en toute liberté. J’ai été appelé par Sa Majesté à contribuer à resserrer les liens culturels entre l’Occident et l’Orient. Je l’ai fait de mon mieux. J’ai créé de toutes pièces une Faculté qui a acquis un solide renom,et qui eut pu devenir le centre culturel le plus important de l’Afrique musulmane et un centre d’attraction pour les Africains francophones. J’ai toujours été partisan de l’arabisation,mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années,il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir. Le Ministère de l’Education Nationale ne parait pas répondre aux services qu’on attend de lui. On ne saurait dire que l’ordre et la compétence y triomphent, cependant que les éléments marocains les plus valables et soucieux de l’avenir de leur pays sont attaqués dans l’Istiqlal. Les dossiers importants sont parfois partagés entre trois services sans que le cabinet laisse jouer au Secrétariat général son rôle normal de coordination. Le Ministre ne semble pas désirer les contacts. A part la visite de courtoisie que j’ai pu faire après ma nomination,je n’ai jamais eu l’occasion de m’entretenir avec lui. Le Directeur de l’Enseignement supérieur, dont dépend la Faculté, ne répond généralement pas aux lettres. Les mesures les plus importantes sont improvisées, et il m’est arrivé de les apprendre par leur publication au journal officiel sans que j’aie té consulté.C’est ainsi qu’à la mi-octobre 1960,on a décidé en quelques heures de créer une propédeutique et des certificats de licence marocaine de langue française, sans que les programmes aient été au préalable étudiés et que les incidences de ces initiatives aient été mesurées.J’ai appris ces décisions en prenant connaissance de textes polycopiés déposés sur le bureau de ma secrétaire.Il est impossible de faire un travail efficace avec une technique si contraire ä la bonne administration.S’il est un domaine en effet où l’improvisation a des conséquences redoutables pour l’avenir, c’est Enseignement.On ne semble pas s’en douter. Sa Majesté m’a appelé à Rabat pour promouvoir la culture marocaine, et non pour être complice de sa ruine.Je me suis donc retiré,laissant à d’autres les responsabilités d’une politique universitaire qui me parait imprudente et vouée à l’échec.Je répète que le Maroc est totalement libre de choisir la politique culturelle qui lui semble la meilleure,mais c’est à des Marocains qu’il doit en confier l’application.C’est pour cela que j’ai sollicité du Ministre mon remplacement par un doyen marocain.Un autre point me parait grave quoique d’un autre ordre,c’est celui de la situation faite aux fonctionnaires français qui sont en place, telle que j’ai pu l’apprécier par ma propre expérience.Que le Maroc les remplace par des nationaux, cela est tout à fait normal, mais qu’il ne leur témoigne pas des égards auxquels ils ont droit, cela me parait difficile à admettre. Depuis trois ans, j’ai consacré la majeure partie de mon temps au Maroc sans autre rémunération que le remboursement partiel de mes frais. Je l’ai fait volontiers, mais que l’on m’ait placé à plusieurs reprises devant le fait accompli alors que j’avais la responsabilité de la marche de la Faculté, cela ne saurait être admis par un homme conscient de sa dignité. Faire toutes les besognes officielles, et être tenu à l’écart des décisions fondamentales, c’est pour un doyen une position morale qu’il lui est impossible de supporter. Quand par exemple, le Recteur organise un banquet en l’honneur de son collègue de l’Université de Paris,le Professeur Debré,et qu’il y invite mon adjoint M. Ben Bachir sans m’y convier moi-même, bien qu’il sache ma présence à Rabat,il pratique une ségrégation regrettable qui m’oblige à me souvenir que le soir de la Celle Saint-Cloud,j’étais l’hôte de Sa Majesté au premier dîner en l’honneur du Maroc indépendant.Je puis mesurer par ce seul fait les changements qui se sont produits depuis cinq ans. A la cérémonie émouvante qui a marqué mon départ, et à laquelle assistaient de nombreux marocains et français,j’ai été salué par un professeur,fonctionnaire du rectorat, et par le vice-doyen de la faculté.Le ministre n’était pas présent, et pas d’avantage le directeur de l’enseignement supérieur.Ce sont les Marocains qui ont éprouvé le plus de gène.Si j’ai reçu une lettre très aimable du recteur,le ministre n’a pas cru devoir me témoigner la reconnaissance du Maroc, soit en m’écrivant, soit en me recevant.Par contre,l’ambassadeur de France et le conseiller de la Mission culturelle dont je ne dépendais en aucune mesure et qui ont toujours strictement respecté l’autonomie de la Faculté, m’ont réservé à plusieurs reprises le meilleur accueil. Je me serais abstenu de signaler l’attitude à mon égard du Ministre de l’Education Nationale si elle n’avait entraîné des conséquences sur lesquelles je vous serais obligé de bien vouloir attirer l’attention de Sa Majesté.Depuis le 10 mai dernier,date à laquelle j’ai donné ma démission,j’ai écrit à plusieurs reprises au Ministre pour l’informer de la situation.II n’a pas jugé utile de m’accorder un entretien. Avant de retourner au Maroc,je l’ai informé que je serais à Rabat, pour un dernier séjour,à partir du 13 Octobre et que je me tiendrais à sa disposition. J’avais l’intention de le prier de solliciter pour moi une audience de sa Majesté. Fonctionnaire chérifien,je devais en tant que français donner l’exemple du respect de la voie hiérarchique qui s’impose à tous. M’adresser directement au Palais, sans passer par l’intermédiaire de mon ministre eut manqué aux règles les plus impératives de l’Administration.Mon Ministre ne me convoquait pas, j’ai été mis dans l’impossibilité à mon grand regret de présenter à Sa Majesté mes remerciements pour la confiance qu’elle m’a toujours témoignée. Croyez mon ami à mes souvenirs les meilleurs. Charles André Julien,professeur à la Sorbonne
Aziz Daouda

Aziz Daouda

Directeur Technique et du Développement de la Confédération Africaine d'Athlétisme. Passionné du Maroc, passionné d'Afrique. Concerné par ce qui se passe, formulant mon point de vue quand j'en ai un. Humaniste, j'essaye de l'être, humain je veux l'être. Mon histoire est intimement liée à l'athlétisme marocain et mondial. J'ai eu le privilège de participer à la gloire de mon pays .


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Maroc pluriel : de Najat à Toto, la parole libérée, une même soif de dire... 43

L’édition récente de Mawazine n’est pas passée inaperçue et fera date. Il y a eu, bien évidemment, ces dizaines de milliers de citoyens venus du Maroc entier et d'ailleurs profiter des différentes scènes, avec le record de Boutchart qui les a tout simplement fait chanter, ainsi que cette grande diva chantant en playback, provoquant la colère de celles et ceux ayant crié à l’arnaque. Mais il y a eu surtout El Grande Toto. Cette grande star de la musique urbaine marocaine et mondiale que beaucoup n’aiment pas, ou pas du tout. El Grande Toto a fait le plein en spectateurs, mais aussi en nombre d’articles et de réactions, pas du tout favorables, à quelques exceptions près. La majorité de ces réactions étaient plutôt critiques, certaines presque assassines. Je le dis tout de suite : je ne suis pas amateur d’El Grande Toto ni de son type de musique. À mon âge, ce serait une insulte à mes goûts musicaux, moi qui ne peux être bercé dans ma version arabe que par Doukkali, Abdelhalim, Belkhayat, Samih, Farid, Oum Kaltoum et Abdelwahab ; dans ma version française par Brel, Reggiani, Piaf, Barbara ; et dans ma version anglaise par Dylan, Clapton, BB King, James Brown, et j’en passe. Cela dit, je ne peux pas non plus me permettre de juger ceux qui n’aiment pas, ni celles et ceux qui aiment le genre musical d’El Grande Toto, c’est-à-dire toute cette jeunesse qui se retrouve dans ce style, qui vibre à ses intonations et jubile en absorbant ses paroles. C’est leur temps et leur musique. Cela me rappelle qu’il y a une trentaine d’années, on ne pouvait écouter Najat Aatabou que par accident, en longeant l’échoppe d’un vendeur de cassettes dans un souk ou en cachette dans sa voiture. Sa musique paraissait agaçante et ses paroles vulgaires. Elle mit longtemps avant d’être finalement admise, puis plus tard adulée. Ce qui m’amène à ce sujet, c’est qu’il y a dans les trajectoires artistiques de Najat Aatabou et d’El Grande Toto quelque chose qui ressemble à un miroir brisé : les éclats s’opposent, se dispersent, et pourtant, à y regarder de près, ils reflètent une même réalité. Celle d’un Maroc multiple, insoumis, tiraillé entre ses traditions et ses désirs de modernité. Un Maroc qui pense être ce qu'il n'est que peu ou pas vraiment. Ce qu'il n'a jamais été sinon dans un imaginaire faussement construit. Najat Aatabou, c’est la voix éraillée des Zemours, celle qui a surgi à Khémisset, portée par les vents du Moyen Atlas et les murmures d’une société encore corsetée par l’honneur, le regard des autres et l’intransigeance des convenances. Dans les années 80, alors que le Royaume balbutiait ses premiers pas vers l’ouverture sociale, Najat osa chanter ce que tant de femmes murmurent en silence : les amours contrariés, la trahison, l’émancipation, la fierté blessée, le désir, et tout cela dans un langage plutôt cru. Son « Hadi Kedba Bayna » : « C’est un mensonge évident » résonne comme un cri, doux mais ferme, dans les mariages populaires, les taxis collectifs et les salons feutrés de la diaspora marocaine en Europe. Avec elle, le chaâbi, musique du peuple par excellence, devient un vecteur d’affirmation. Najat ne s’excuse pas d’être femme, artiste, amazighe, rebelle. Elle dérange, elle choque parfois, mais elle s’impose. Sa musique est même reprise dans une publicité mondiale. Quarante ans plus tard, c’est un autre Marocain qui fait trembler les murs des certitudes : El Grande Toto, enfant des faubourgs casablancais, cheveux teintés, visage et bras tatoués et verbe acéré, s’impose comme le chantre d’une jeunesse marocaine décomplexée. Avec lui, les mots claquent en darija, s’entrelacent au français et à l’anglais, flirtent sans retenue avec les interdits : drogue, argent, sexe, et bousculent les hypocrisies sociales. Là où Najat Aatabou dénonçait à demi-mot, Toto affiche, revendique, provoque. Certes, les formes divergent : Najat puise dans le répertoire ancestral, ses mélodies rappellent les noces villageoises et les youyous d’antan. Toto, lui, s’abreuve aux sources du rap mondial, de la trap et des réseaux sociaux, où les punchlines valent plus que les silences. Mais derrière ces différences, une même sève irrigue leurs œuvres : la soif de dire, coûte que coûte, sans se sentir coupable de quoi que ce soit. Najat Aatabou a payé le prix fort pour avoir brisé les tabous. On se souvient encore des critiques acerbes, des regards lourds de jugement, des pères de familles outrés. Mais le temps lui a donné raison : elle est aujourd’hui respectée, adulée même, perçue comme l’une des grandes voix du Maroc populaire. El Grande Toto, lui, est encore en pleine tempête. Il lui faudra beaucoup de temps avant d’être enfin toléré et admis. Polémiques à répétition, convocations judiciaires, accusations d’indécence… Pourtant, son succès ne faiblit pas. Les chiffres parlent : des millions d’écoutes sur les plateformes, une influence internationale grandissante, une jeunesse marocaine qui se reconnaît dans ses colères et ses rêves. Ils chantent leur réalité et ils se retrouvent en lui, qu’on le veuille ou pas. Finalement, des années 80 à aujourd’hui, comme à travers les siècles, le Maroc n’a cessé de se raconter à travers ses artistes les plus dérangeants. Il y eut d'autres auparavant : Zahra Elfassia, Fatna Bent El Houcine, et tant de Chikhates connues ou pas, des voix féminines des frustrations et des espoirs d’une génération muselée. El Grande Toto, le porte-voix insolent d’une jeunesse urbaine en quête de reconnaissance, d’espace, de liberté, incarne aujourd’hui cet esprit. Il ne faut pas oublier qu’il y eut d'autres avant lui : Faddoul, Nass El Ghiwane, Ach Kayne, Rebel Moon et Lbig, entre autres. Il y avait aussi une tradition de rébellion et de langage osé dans le malhoun avec des qassidas qu'on n'oserait plus chanter de nos jours, même dans les cercles les plus intimistes. Entre eux tous, des décennies et des univers, mais aussi ce fil invisible qui relie ceux qui osent dire tout haut ce que d’autres taisent encore. Peut-être est-ce cela, être artiste au Maroc : bousculer l’ordre établi, tendre un miroir à la société, et accepter d’en payer le prix, même s'il est trop fort...

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