Football marocain : entre passion et violence, l’heure du choix décisif... 986
La violence dans les stades marocains n'est plus un épiphénomène. Chaque saison, les affrontements entre supporters, les dégradations d’infrastructures et, parfois, des drames humains rappellent que les joutes de football, censées être une fête populaire, tournent trop souvent en champ de bataille. La violence est physique, mais pas seulement. Les chants des "supporters" peuvent également être d'une violence inouïe envers les supporters adverses et de plus en plus souvent aussi envers les institutions. Le phénomène est en constante aggravation. Les comportements dangereux, bien que trop peu nombreux, du KACM et ceux de Dkheira, récemment promus en Botola, ou encore les faits perpétrés à Mansouria l'an passé, pour ne citer que quelques exemples, montrent combien la tendance est à la généralisation, même là où l'enjeu n'est pas important. La préoccupation dépasse désormais la simple gestion ponctuelle d'incidents divers : elle exige une prise de position ferme, morale, institutionnelle et médiatique pour restaurer un climat sain et sécurisé. Les incidents relevés en marge des manifestations de ce qui est désormais appelé Génération Z, montrent combien la frontière entre la violence dans les stades et dans la rue est plus que poreuse. Il s'agit des mêmes comportements d'une jeunesse désemparée, sensible aux discours nihilistes ambiants et certainement parfaitement bien manipulable. La jonction est facile. Les adeptes de la violence n'ont aucun mal à passer à l'acte, munis de slogans creux, pensant porter la bonne parole.
Les clubs et la Fédération ne sont aucunement responsables dans cette situation alarmante, mais leur silence est lourd et peut engendrer des conséquences fâcheuses pour l'ensemble du pays, hors football.
Les clubs de football marocains, ainsi que la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF), occupent une place centrale dans le système sportif, culturel et économique national, mais leur posture peut sembler ambiguë. Leur rôle n'est pas uniquement d'organiser des rencontres et des matchs; il s'étend bien au delà des enceintes sportives.
Malgré les condamnations officielles des violences, une relation parfois tacite et passive persiste entre certains groupes radicaux de supporters et les clubs souvent impuissants, peut être inconscients de la profondeur de la problématique. Ils en deviennent souvent victimes. Leur rôle d'encadrements des fans étant loin de ce qu'il est supposé être.
La ferveur spectaculaire qui remplit les stades et captive les médias certes, nourrit hélas également un engrenage de violence difficilement contrôlable. Des études montrent que les supporters violents sont souvent des jeunes issus de milieux socio-économiques modestes, principalement âgés de 18 à 34 ans. Beaucoup n'ont d'exutoire que le stade et d'identité que celle du club qu'ils supportent. Ils crée à chaque occasion une atmosphère où la passion se mêle dangereusement à la transgression.
Pour une lutte crédible contre ce type de violence, une rupture claire est nécessaire : le football marocain doit se désolidariser totalement des groupes violents, en refusant tout chantage symbolique ou organisationnel. La persistance d’une complicité indirecte compromet les efforts déployés et retarde la mise en place d’une véritable politique contre Achaghab.
Force est de relever aussi le rôle ambivalent des médias en particulier quand ils, jouent un rôle ambivalent. Ils couvrent abondamment les manifestations "spectaculaires" dans les tribunes: fumigènes, craquages, tifos gigantesques, chorégraphies pyrotechniques, souvent présentées comme des preuves de passion et de créativité, alors que certains de ces aspects sont interdits par les lois nationales et les règlements de la FIFA. Derrière des mises en scène festives peut se cacher une réalité beaucoup plus sombre, où violence et affrontements sont inhérents à ces pratiques. Cette glorification médiatique contribue involontairement à renforcer une "culture" devenue néfaste.
Une couverture responsable devrait privilégier la valorisation du jeu, des initiatives éducatives, citoyennes, et des efforts des joueurs et entraîneurs plutôt que la mise en avant d’une spirale de violence. Ce changement d’angle médiatique est indispensable pour déconstruire le mythe que la violence appartient intrinsèquement au football, Ce n'est point vrai. Les exemples ne manquent pas. Il s'agit donc de déconstruire le mythe de la passion violente.
Nombreux sont ceux qui justifient la violence dans les stades comme étant le revers inévitable de la ferveur populaire. Ce fatalisme est trompeur et dangereux. De grands championnats, à travers des politiques strictes et des investissements dans la sécurité et l’éducation sportive, ont réussi à encadrer et réduire drastiquement ces comportements. Le Maroc n’y échappera pas. Tôt ou tard il va falloir changer de cap. Mieux vaut tôt que tard. La violence est un problème social qu’il faut combattre avec détermination et non l'accepter comme une fatalité. Il ne s'agit pas de promulguer des lois, mais de les mettre en application, mais surtout de les accompagner de politiques et de programmes éducatifs et de dissuasion dans le cadre d'une responsabilité collective à assumer.
La lutte contre la violence dans les stades ne peut être réduite à la seule action des forces de l’ordre. Plus on évitera de mettre face à face les jeunes et les forces de l'ordre mieux ca vaudra. Elle requiert une mobilisation collective et concertée :
- Les clubs et la FRMF doivent clairement rompre avec les groupes violents et s'en désolidariser, mettant en place des sanctions strictes et des mesures pour protéger les stades.
- Les médias doivent cesser la valorisation esthétique des actes violents et adopter un traitement plus sensible et éducatif du football.
- L’État et les collectivités territoriales doivent investir dans l’éducation civique par le sport et offrir aux jeunes des espaces d’expression et de loisirs hors des tribunes, notamment dans les quartiers défavorisés où la frustration sociale est un facteur aggravant.
- Les supporters responsables doivent être encouragés et protégés pour rééquilibrer l’image du public footballistique marocain, souvent déformée par une minorité violente.
C'est là un choix sociétal déterminant. La problématique dépasse largement le cadre sportif pour toucher à la vision même de la société marocaine. Si le football est un miroir de la nation, il appartient à tous, institutions et citoyens, de décider si ce miroir doit refléter la passion, la créativité et l’unité, ou la haine, la destruction et la division.
Il est grand temps que le football marocain choisisse clairement son camp, en mettant fin à toute complaisance vis-à-vis de la violence et en s’engageant résolument dans la construction d’une culture sportive et sociale pacifique, saine et constructive. Ce choix déterminera l’avenir et la grandeur de ce sport extrêmement populaire dans le Royaume. Aujourd'hui on est champion du monde.